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lundi 21 octobre 2013

Rentrée Littéraire 2013 - 8ème partie: Bleu Corbeau (Adriana Lisboa), Arvida (Samuel Archibald) et Sous la terre (Courtney Collins)


Bleu corbeau (Titre original: Azul-corvo) de Adriana Lisboa

Je ne me souviens pas avoir lu beaucoup de romans brésiliens. Heureusement qu'il existe une collection "Bibliothèque brésilienne" chez la très sympathique maison Métailié. Je ne pouvais pas faire cette série sans y inclure un titre de chez eux. Il se peut que je récidive dans une des prochaines parties.

Evangelina, 13 ans, a vécu avec sa mère, Suzana, femme libre qui n'a vécu avec des hommes que sur de courtes périodes de sa vie, et n'a jamais connu son père. Mais un des hommes de la vie de Suzana lui est resté loyal et, à la naissance d'Evangelina, a accepté de signer les papiers officiel en tant que père. Après la mort de Suzana, l'adolescente est recueillie par Fernando et elle doit partir du Brésil pour se rendre à Lakewood au Colorado.

Tout en faisant des recherches pour rechercher son vrai père, Daniel, qui avait rompu tout contact avec Suzana, Evangelina écoutera les confidences de Fernando sur sa vie passée en tant que guérillero. S'entremêlent donc de violentes péripéties au fin fond de la forêt amazonienne et ses réflexions de jeune fille déracinée. Elle se liera d'amitié avec un voisin salvadorien, plus jeune qu'elle, Carlos.

Le point de vue d'Evangelina occupe la majeure partie du roman. Elle attire la sympathie du lecteur immédiatement avec ce mélange de naïveté et de douce lucidité, propre à l'adolescente qui est en train de devenir femme. Ses remarques sont surtout centrées sur les différences des civilisations brésilienne et américaine sans jugement, plutôt avec l'ouverture d'esprit que sa mère lui a inculquée. Le passé de Fernando, de son nom de guerre Chico, fait contraste avec les phrases élégantes, poétiques même, qui truffent Bleu corbeau. Qui est le second roman d'Adriana Lisboa publié par Métailié après Des Roses rouge vif en 2008. Une auteure que je ne suis pas déçu d'avoir découverte.

Arvida de Samuel Archibald

Il y a deux choses que j'ignorais avant de commencer cet ouvrage. J'avais survolé le quatrième de couverture sans réaliser deux choses: il s'agit de nouvelles et l'auteur est québécois. Et donc, sans le faire exprès, j'ajoute à la diversité géographique de cette série. Arvida a d'ailleurs été déjà publié au Canada en 2011 chez Le Quartanier, un éditeur de là-bas. Cette première oeuvre de fiction a attiré l'oeil de Phébus et c'est une belle découverte.

Comme l'indique le titre, le fil rouge du recueil est cette ville, Arvida, située dans la région du Saguenay au Quebec. Trois histoires du recueil  ("Mon père et Proust", "Foyer des loisirs et de l'oubli" et "Madeleines", groupés dans un cycle intitulé ARVIDA) sont en fait des textes autobiographiques où l'auteur raconte souvenirs d'enfance (une partie de hockey épique, comment sa vocation d'écrivain lui est venue...) ainsi que l'origine de la ville, bâtie en 1926 et en 135 jours afin d'accueillir les ouvriers d'une importante usine d'aluminium.

Qui dit Quebec, dit forcément différences de langage avec le français de France. Dans l'ensemble, c'est presque imperceptible. C'est dans "América" que le lecteur français peut se perdre le plus. Dans cette histoire, des amis (dont un boulet junkie) essaient de faire passer la frontière américaine à une latina. Ils accumulent les erreurs. Mais revenons au différences de langage. "América" en est truffée et pour le coup, l'éditeur français aurait pu mettre quelques notes de bas de pages. Même si l'on comprend certains termes par déduction (mots anglais francisés ou le contexte des phrases par exemple), d'autres restent obscurs pour celui qui n'a pas l'habitude.

Ce qui saute aux yeux en premier c'est la syntaxe et l'utilisation très régulière dans quasiment toutes les histoires de "pis" au lieu de "et" ou "puis". C'est dans "Antigonish", très agréable histoire de ces deux canadiens qui parcourent les routes des Etats-Unis pour le plaisir, que j'ai trouvé les premiers termes que l'on n'utilise jamais en France mais que l'on peut comprendre. Je suppose que qu'être "en retard sur la cédule" (très probable francisation du mot anglais "schedule") signifie être en retard sur le programme, le plan. Plus facile: "On va arriver là à la noirceur" pour dire le soir ou la nuit. Vous le comprendrez, ça ne gênera pas plus la lecture que ça, vous pourrez sans problème apprécier le recueil sans trop vous gratter la tête ou le menton (ou ce que vous voulez) de perplexité.

Restons sur "Antagonish" puisqu'y est introduit une ambiguïté qui se rapporte au domaine du fantastique. Le narrateur a-t-il vu ou seulement imaginé cette fille au manteau rouge et robe blanche sur le bord de la route?Samuel Archibald, selon la courte biographie du quatrième de couverture, "donne des cours à l'Université du Quebec à Montréal" sur entre autres "le cinéma d'horreur". Il n'est donc pas étonnant de découvrir dans le recueil des choses qui y sont liés de près ou de loin. L'exemple le plus parlant reste "Jigai", l'histoire (qui se situe exceptionnellement au Japon) dérangeante (et crade) de deux femmes, Reiko et Misaka, qui s'enferment dans une maison pour s'entre-mutiler des pires façons jusqu'à en propager ce goût macabre dans l'esprit des femmes du village. Dans un genre plus psychologique, on retrouve le thème de la maison hantée dans "Chaque maison double et duelle", où le narrateur voit son foyer péricliter à cause du penchant prononcé de sa femme pour le paranormal, qu'elle transmet à leur fille. La maison qu'il achète et rénove cache bien entendu une tragédie qui reste inexpliquée et un pentagramme gravé sous un lit n'arrange pas les choses. On retrouvera bien d'autres éléments proches du fantastique tout au long des pages, mais ils restent mineurs (cauchemars, superstitions...), l'ensemble du recueil demeurant tout à fait terre-à-terre.

Dans un second cycle de trois nouvelles (SOEURS DE SANG), la plus marquante, "L'Animal", raconte comment un homme apprivoise dans l'illégalité un ourson qu'il est obligé de tuer à cause des problèmes qu'il finit par causer une fois adulte. Mais, le point de vue d'une petite fille permet d'aborder un autre sujet grave.
"Les derniers-nés" est avec "Antagonish", l'une de mes nouvelles préférées. Elle démarre comme un mini-polar qui semble prendre un mauvais chemin mais termine avec beaucoup d'ironie. Raisin fait un deal avec Martial qui le paie pour assassiner Sanguinet, le bookmaker.

Même les nouvelles sur lesquelles je ne m'attarderai pas sont d'une qualité indéniable, elles ont chacune leur place. J'ai dévoré le recueil en deux jours seulement, emporté par une écriture à la fois dépaysante par le langage et familière par son réalisme et ses personnages simples mais touchants. Au final, Samuel Archibald signe avec Arvida une promesse pour le lecteur qui le découvre. Celles de futures publications aussi remarquables.


Sous la terre (Titre original: The Burial) de Courtney Collins

Premier roman de cette australienne publié par Buchet Chastel, il serait inspiré de la vie réelle de Jessie Hickman, première bushranger, terme qui désignent les hors-la-loi, souvent fugitifs, qui se servaient du bush pour échapper aux autorités.

Jessie à peine sortie du pénitencier dans lequel elle était incarcérée pour vol de chevaux, voit sa vie liée à celle de Fitzgerald Henry (Fitz pour les intimes). Celui-ci révèle vite son visage d'ordure, la battant et la piégeant dans une machination à la suite de quoi elle ne peut refuser un mariage forcé. La première partie du roman raconte comment Jessie décide d'agir de façon radicale.

Elle était censée attendre la venue de Jack Brown, métis aborigène et collaborateur de Fitz pour s'enfuir avec lui. Mais elle change ses plans et s'enfuit avec Houdini, son cheval, dans la nature australienne. De son côté, Jack Brown s'associe à Andrew Barlew, un shérif totalement dépassé par ses fonctions et instable pour partir à la recherche de Jessie.

La narration revient parfois sur le passé de Jessie, qui s'est entre autres lié d'amitié avec un gamin alors qu'elle parcourait l'Australie avec un cirque itinérant. Celui-ci ne pouvait continuer à tourner pour différentes raisons, elle se sera par la suite reconvertie au vol de chevaux.

Sous la terre n'est pas plus difficile que ça à résumer. Mais il se révèle d'une efficacité imparable. Au cours de sa fuite, Jessie fait la rencontre de personnages qui joueront bien sûr leur rôle: ce couple de vieux dont l'attitude envers elle est diamétralement opposée (l'homme est hostile, la femme bienveillante) et ce gang de voleurs de chevaux qui se cache dans la montagne et sera la cause d'une chasse à l'homme désordonnée mais déterminée.

Il y a deux choses sur lesquelles je pense nécessaire de m'arrêter. Premièrement, ce "Prélude à la mort" qui entame le roman: il s'agit d'une sorte de mini-nouvelle mettant en scène le magicien Harry Houdini lors d'une de ses performances. Très appréciable, mais il ne faut pas s'attendre à retrouver le magicien, même sporadiquement, au fil du roman. Ce sera sa seule apparition, et il ne reviendra que sous la forme du nom du cheval de Jessie. Secondement, l'originalité de Sous la terre réside dans le point de vue: la majeure partie du roman est apparemment à la troisième personne mais c'est bien à la première personne que le narrateur nous rend compte des péripéties. C'est un personnage bien particulier. Je préfère vous laisser la surprise, que vous découvrirez très tôt. Juste un petit indice, ça explique le titre original (The Burial), autant que le titre français.

Après le Brésil d'Adriane Lisboa et le Québec de Samuel Archibald, cette Australie de Courtney Collins achève ce presque tour du monde de bien belle façon. Je m'amuse toujours de trouver des correspondances, mineures ou pas, entre les romans que je lis pour cette série d'articles. En effet, en plus du cirque déjà entrevu dans La fabuleuse histoire du clan Kabakoff de Steve Stern, Sous la terre peut être rapproché du Faillir être flingué de Célina Minard, puisqu'on peut après tout le qualifier de western à l'australienne. Ce premier roman marquant n'est certainement pas de ceux que je regrette d'avoir choisi. C'est une rude et puissante chevauchée poétique que nous offre Coutney Collins.

-Bleu corbeau, Adriana Lisboa, Métailié, coll. "Bibliothèque brésilienne", 18€. Traduit du brésilien par Béatrice de Chavagnac.
-Arvida, Samuel Archibald, Phébus, 18€. Traduction du québécois par vous-mêmes.
-Sous la terre, Courtney Collins, Buchet Chastel, 21€. Traduit de l'anglais (Australie) par Erika Abrams.

1ère Partie
2ème Partie
3ème Partie
4ème Partie
5ème Partie
6ème Partie
7ème Partie
9ème Partie
10ème Partie
11ème Partie

Classement provisoire:
24.Les Impostures du réel de Frédérick Tristan.
23.Les Disparus de Mapleton de Tom Perrotta.
22.La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson.
21.L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas.
20.Hell de Yasutaka Tsutsui.
19.La Conjuration de Philippe Vasset.
18.Intermède de Owen Martell.
17.Uniques de Dominique Paravel.
16.Les Fuyants d'Arnaud Dudek.
15.Manuel El Negro de David Fauquemberg.
14.Courir sur la faille de Naomi Benaron.
13.Bleu corbeau de Adriana Lisboa.
12.En mer de Toine Heijmans.
11.Volt d'Alan Heathcock.
10.La Saison de l'ombre de Léonora Miano.
9.La fabuleuse histoire du clan Kabakoff de Steve Stern.
8.Folles de Django d'Alexis Salatko.
7.Le Premier vrai mensonge de Marina Mander.
6.Les évaporés de Thomas B. Reverdy.
5.Arvida, Samuel Archibald.
4.La Cravate de Milena Michiko Flasar.
3.Faillir être flingué de Céline Minard.
2.Sous la terre de Courtney Collins.
1.Un Monde beau, fou et cruel de Troy Blacklaws.

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