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vendredi 11 octobre 2013

Rentrée Littéraire 2013 - 7ème Partie: La Conjuration (Philippe Vasset), La fabuleuse histoire du clan Kabakoff (Steve Stern) et Les évaporés (Thomas B. Reverdy)

Pour cette septième partie, j'ai décidé de lire trois romans d'éditeurs déjà présents dans les parties précédentes. J'ai réussi à lire 18 romans d'éditeurs différents, mais à un moment il faut bien que je suive mes envies quitte à chroniquer plusieurs livres d'un même éditeur, ce qui peut paraître à tort comme du favoritisme. J'ai déjà prévu neuf parties supplémentaires (donc seize en tout) dont une ou deux autres comme celle-ci et le reste avec le plus d'éditeurs différents possibles. J'ai fait également en sorte de bien équilibrer les origines et les cadres géographiques des romans, tout en suivant mes envies. Je ne ferai pas de teasing en vous disant quels seront à chaque fois les trois romans en prévision car il peut y avoir des changements. J'espère seulement avoir le temps de tout lire avant fin décembre.

La Conjuration de Philippe Vasset

En guise d'introduction de feignasse, je me contenterai de dire que La Conjuration est le septième roman de Philippe Vasset. Pas grand chose à dire de plus guyz & girlz. Ah si, je peux ajouter qu'il fait partie des sélections de trois prix majeurs: la deuxième sélection du Prix Fémina (tout comme Faillir être flingué de Céline Minard (voir 6ème Partie) et La Saison de l'ombre de Léonora Miano (voir 1ère Partie),  la première du Prix Interralié et la deuxième du Prix Médicis. Merde, c'est pas rien!

Le roman est à la première personne et le narrateur ne prend vraiment de consistance par son discours. On ne sait pas grand chose de lui, à part qu'il a un passe-temps très particulier: celui de repérer les lieux désertés dans Paris et sa proche banlieue. Des entrepôts qui ne servent plus, d'anciennes gares, des bâtiments abandonnés... Dans une première partie, il nous expose ce hobby, nous raconte l'historique, certainement véridique, de ces lieux.

La deuxième partie met en scène ses retrouvailles avec André, un écrivain pour lequel il a travaillé en tant que nègre. Tous les deux en manque critique d'argent vont alors avoir pour ambition de créer un mouvement, une sorte de secte avec un quartier général isolé où ils pourraient organiser des réunions pseudo mystico-artistiques. Cette partie est entrecoupée d'"Etudes" qui décrivent avec précision le fruit des repérages du narrateur, chaque lieu étant potentiellement idéal à leur projet. Qui tournera court. Le narrateur et André n'auront finalement pas le même objectif et le narrateur finira dans la troisième partie, dont je ne dévoilerai rien, par créer sa conjuration, pour la beauté artistique du geste.

Le style est très froid, sans émotion particulière et la narration est parfois un peu trop abstraite. Mais par quelque magie littéraire, on se laisse embobiner par Philippe Vasset et on suit son personnage dans ses démarches et ses réflexions qui prônent une marginalité urbaine et artistique. On peut juger certaines choses peu crédibles, mais l'essentiel c'est de se laisser entraîner, en toute confiance, ayez confiance.... dans ce roman original, sorte de délire cérébral contrôlé.


La fabuleuse histoire du clan Kabakoff  (Titre original: The Annals of the Kabakoffs, in A Plague of Dreamers: three novellas) de Steve Stern

A l'instar de Gallmeister avec Tom Robbins, les éditions Autrement continuent à nous faire découvrir des auteurs étrangers à la bibliographie bien fournie mais qui sont restés méconnus en France. Le meilleur exemple est celui de l'australien Kenneth Cook (1929-1987) dont j'ai suivi assidûment les publications traduites posthumes et dont vous pouvez en trouver quelques articles sur ce blog. Cette fois-ci, il est question de Steve Stern, auteur déjà d'une bonne douzaine de bouquins depuis 1983, mais dont Autrement a publié la première traduction française en 2012, à savoir Le Rabbin congelé. Ce dernier, que je n'ai pas encore eu l'opportunité de lire, est sorti depuis en poche, simultanément avec La fabuleuse histoire du clan Kabakoff.

Itchy Kabakoff a grandi à Memphis dans le Tenessee, d'une part avec ses grand-parents, Yankel et Tillie qui tiennent le Grand Bazar Kabakoff et d'autre part avec son père Mose, sa belle-mère Ida, scotchée à son poste de télévision et David et Rose, enfants de cette seconde union. Mouton noir de la famille, Itchy, ignoré ou rejeté également par ses camarades d'école s'est réfugié dans son propre petit monde qu'il soit entouré de livres dans le bureau de son grand-père ou qu'il erre dans les rues à se percher aux arbres pour jouer aux voyeurs. Jusqu'au jour où il se présente au forain Julius Few, et demande à faire partie de sa Caravane du Rire, l'un de ces spectacles itinérants dans la pure tradition américaine. Mais ce n'est que la première partie...

Le roman me rappelle dans sa construction Les Fuyants d'Arnaud Dudek (voir 2éme partie). Tout simplement parce qu'on a le même schéma: les trois personnages principaux sont les hommes de trois générations successives. La deuxième partie est surtout centrée sur Mose, le père d'Itchy et la scène hilarante du mariage de Rose clôturant la première est suivie par la vie du père avant la naissance de son premier fils. Il nous est raconté les visites d'une drôle de famille éloignée et le ras-le-bol de Mose pour la façon de vivre de ses parents. Ainsi, Yankel est présenté comme une caricature de vieux juif bassinant tout le monde avec le Livre. Et comme cette époque (1925-1941) correspond aux années sombres subies par les juifs d'Europe, Steve Stern évoque ces même années d'une façon métaphorique à travers la jeunesse juive de Memphis qui en vieillissant perd de sa vivacité, s'efface puis disparaît. Il y introduit également des éléments bizarres, fantastiques.

Puis on est transportés dans les années 1870 avec les jeunes années de Yankel, enfant surdoué dans l'étude de la Torah, qui sera enlevé de force pour contribuer à la guerre entre la Turquie et la Russie. Le ton change encore. Le roman conserve son humour mais les horreurs étouffés de la deuxième partie laissent place à des horreurs plus explicites...

Le dernier tiers du roman expliquera bon nombre de bizarreries qui ont pointé le bout de leur nez dans la deuxième partie et tout le roman retombe subtilement sur ses pattes. L'enseignement du grand-père pour le petit-fils portera ses fruits, on saura qui est finalement la plantureuse tante Lailah et le roman s'achève sur l'arrivée de Yankel en Amérique.

Evidemment, beaucoup reprocheront l'aspect communautaire de La fabuleuse histoire du clan Kabakoff. Steve Stern est réputé pour imprégner ses ouvrages de culture yiddish et pour ceux qui n'y connaissent rien, cela peut être un obstacle. Pour ma part, je pense que c'est une des exigences de la littérature de ne pas trop faire de concessions et c'est au lecteur de faire l'effort de ne pas être gêné par des éléments inconnus. D'autres vont dans la facilité, prennent des raccourcis et édulcorent tout à coups de clichés et calembours foireux avec une histoire de fakir (ne vous laissez pas piéger par son succès!), Steve Stern réussit à être drôle et profond, quitte à dérouter. Pour les plus réticents, le traducteur a eu la bonne idée de placer de courtes notes de bas de page expliquant les termes yiddish. Et puis, franchement, le roman dans son ensemble reste abordable. La lecture de La fabuleuse histoire du clan Kabakoff relève de la même démarche intellectuelle avec laquelle on attaque par exemple Manuel El Negro de David Fauquemberg (voir 2ème partie), de la même ouverture d'esprit qu'il ne faut pas regretter, même si des choses nous ont échappé. J'avoue que c'est mon cas, surtout dans les passages avec Yankel où la culture yiddish est plus présente.

Mais je reste convaincu que ce roman plaira à ceux qui aiment sortir des sentiers battus. Il suffit d'imaginer un mélange entre l'iconoclaste Tom Robbins, la famille Addams et une ambiance à la Freaks de Tod Browning... saupoudré de théologie judaïque. .

Les évaporés de Thomas B. Reverdy

J'avais envie de lire ce roman depuis un bout de temps. Le temps qu'il soit retenu pour la première sélection du Prix Goncourt 2013. Puis qu'il en soit éliminé pour la seconde (tout comme le Moix, ce qui est moins regrettable). Cette élimination ne m'a pas fait changer d'avis. Ne serait-ce que pour faire pendant à La Cravate de Milena Michiko Flasar. Pour le cadre japonais. Avec Hell de Yasutaka Tsutsui, c'est donc le troisième roman de cette rentrée en rapport avec le Japon. Trois romans très différents, trois facettes du pays par des auteurs d'horizons différents. 

Les évaporés fait référence aux personnes qui disparaissent du jour au lendemain pour différentes raisons: adultère, licenciement ou autre cause de honte. Tout comme les hikikomori, sujet traité dans La Cravate ces personnes sont désignés par un  terme spécifique au Japon: johatsu. Le johatsu du roman s'appelle Kazehiro, ou Kaze, diminutif qu'il adoptera pour sa nouvelle vie. Courtier, son patron lui a demandé de faire certaines manoeuvres financières apparemment anodines. Mais quand le même patron lui dit, entre conseil et menace, que la société doit se séparer de lui et qu'il ferait bien de partir en voyage, Kaze se rend compte qu'il est au courant de choses pas très claires. Il part donc une nuit sans prévenir sa femme, avec seulement trois cartons pour bagages, contenant des documents qu'il a gardé de son travail afin de comprendre les raisons de sa fuite forcée. De son côté, Akainu, ado de quatorze ans qui s'est réfugié à Tokyo après le tsunami de 2011, sans savoir ce que sont devenus ses parents, survit comme il peut. Il croisera le chemin de Kaze et contribuera à l'entreprise de débarras que celui-ci a créée.

La fille de Kaze, Yukiko, revient au Japon après plusieurs années passées aux Etats-Unis. Pendant lesquelles elle a eu une relation amoureuse avec Richard B., détective privé. Elle lui demande de l'accompagner dans son pays d'origine pour retrouver son père. Il accepte un peu dans l'espoir de renouer avec elle. Inspiré par l'écrivain Richard Brautigan et ses personnages, ce Richard, drôle et décontracté, écrit ses notes en forme de poèmes et nous livre sa vision d'occidental (qui peut être aussi en partie celle de l'auteur) sur ce pays particulier et fascinant. N'étant pas spécialiste de Brautigan, je n'aurais certainement pas décelé toutes les références directes si Reverdy ne les avait pas mises en italiques.

Ce roman japonais écrit par un français inspiré par un auteur américain est un hybride très bien maîtrisé: on y trouve du polar, de l'humour, de l'onirisme, de la sensualité et de la sociologie. En effet, il est beaucoup question de spécificités culturelles japonaises mais aussi de la façon dont la mafia, via l'économie, s'est approprié le pays après le tsunami et la catastrophe nucléaire de Fukushima. Thomas B. Réverdy précise qu'une bonne partie de son roman "est le fruit d'expériences vécues, de rencontres et de nombreuses lectures faites sur place", chose dont je doutais déjà peu tout au long des pages.

Avant de le commencer, je m'attendais à une écriture très littéraire, mais elle est très fluide, très abordable. Comme je le disais plus haut, Les évaporés faisait partie de la première sélection du Prix Goncourt et il a bénéficié simultanément d'une plutôt bonne presse. J'espère que les lecteurs ne seront pas influencés par le choix du jury de l'avoir écarté, c'est un roman qui ne mérite pas d'être rejeté. Il lui reste une chance cependant, puisqu'il fait partie de la seconde sélection du Prix de l'Académie Française.

-La Conjuration, Philippe Vasset, Fayard, 17€.
-La fabuleuse histoire du clan Kabakoff, Steve Stern, 18€. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Brévignon.
-Les évaporés, Thomas B. Reverdy, Flammarion, 19€.

1ère Partie
2ème Partie
3ème Partie
4ème Partie
5ème Partie
6ème Partie
8ème Partie
9ème Partie
10ème Partie
11ème Partie

Classement provisoire:
21.Les Impostures du réel de Frédérick Tristan.
20.Les Disparus de Mapleton de Tom Perrotta.
19.La Lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson.
18.L'extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas.
17.Hell de Yasutaka Tsutsui.
16.La Conjuration de Philippe Vasset.
15.Intermède de Owen Martell.
14.Uniques de Dominique Paravel.
13.Les Fuyants d'Arnaud Dudek.
12.Manuel El Negro de David Fauquemberg.
11.Courir sur la faille de Naomi Benaron.
10.En mer de Toine Heijmans.
9.Volt d'Alan Heathcock.
8.La Saison de l'ombre de Léonora Miano.
7.La fabuleuse histoire du clan Kabakoff de Steve Stern.
6.Folles de Django d'Alexis Salatko.
5.Le Premier vrai mensonge de Marina Mander.
4.Les évaporés de Thomas B. Reverdy.
3.La Cravate de Milena Michiko Flasar.
2.Faillir être flingué de Céline Minard.
1.Un Monde beau, fou et cruel de Troy Blacklaws.

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