"Rana Toad", ça se mange?

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dimanche 17 janvier 2016

Décryptage des messages d'Albert Clock/Théodule Tick (Chapitres 12,13 et 14)

  Jupiter/Hannibal, Peter, Bob et Harry s'attaquent aux messages que Albert Clock/Théodule Tick a envoyé à ses amis sur plusieurs chapitres. Comme mentionné dans l'article principal, les tâtonnements et déductions du texte original et du texte français diffèrent énormément, et je vais ici recopier les passages concernés. Cet article annexe s'adresse aux anglophones (car je ne traduirai pas le texte de Robert Arthur) les plus curieux de voir comment Jean Muray s'est cassé la tête à adapter ce qui ne pouvait pas être traduit mot à mot. C'est très long mais bien évidemment, vous trouverez comme d'habitude des illustrations tout au long de l'article. La première tentative se trouve au Chapitre 12:

S. Taugourdeau/D. Benesch, 1988.
'[...] Now let's take the messages in order. The message Bob and Harry got from Miss Taylor is obviously first, so let's study it first."
  He spread out the message and they all stared at it. It still said:

It's quiet there even in a hurricane.
Just a word of advice, politely given.
Old English bowmen loved it.
Bigger than a raindrop; smaller than an ocean.
I'm 26. How old are you?
It sits on a shelf like a well-fed elf.

  "I still don't see how that can be a message," Harry said. "Unless it's a code of some kind."
  "It was intended for this Mr. King, who's sick," Jupiter reminded them. "He's very good at clues and puzzlers. This was something for him to puzzle out. If he could do it, so can we."
  "Speak for yourself," Pete said gloomily.
  "At first glance," Jupe went on, "these peculiar sentences look something like the definitions of words in a crossword puzzle. My deduction is that each line means one word, we'll have a message six words long."
  "But what words? Pete wanted to know. "Where is it quiet even in a hurricane?"
  "The best place to be in a hurricane is in a storm cellar," Harry said.
  "Or a bank vault," Bob added.
  "I don't know." Jupiter pinched his lip. "Maybe a bank vault would fit. We're probably talking about something valuable, you know."
  "How do you figure that?" Pete demanded.
  "Why go to so much trouble unless it's about something valuable?" Jupiter asked. "No, it's about something valuable and it could be in a bank vault. Now let's go on to line two. It says, 'Just a word of advice, politely given.' Now, what other words are there for 'advice'? Pete, hand me that dictionary on the shelf."
  Pete handed him the dictionary from a shelf of books, and Jupiter leafed through it.
  "Here we are," he said, "'Advice: an opinion or recommendation to a course of action.' Let's see how that fits. Bank vault - opinion - .... It doesn't sound right."
  "It sure doesn't," Pete agreed. "If you want my suggestion - "
  "Pete, stop!" Jupiter cried.
  "Pete stared at him. "Stop? Why? I was just going to tell you my suggestion - "
  "That's it!" Jupiter told him. "Suggestion. A suggestion would be a polite way to give advice, wouldn't it? I think you've solved the line for us."
  Pete blinked. "Then maybe it isn't so hard after all," he said. "Still, I don't make any sense out of 'bank vault - suggestion'."
  "Neither do I," Jupiter agreed. "But we still have to get the rest of the words."
  "The third line is, 'Old English bowmen loved it.'," Bob said. "But loved what? Bowmen were archers, they shot bows and arrows, so maybe they loved arrows."
  "Arrows are plural, not singular," Jupe said. "Bowmen are also supposed to have loved a good battle."
  "Bank vault - suggestion - battle!" Harry exclaimed. "That's worse than ever."
  "I agree," Jupiter said, frowning. "But - " At that moment his aunt's voice came in through the open skylight.
  "Jupiter! Dinner-time. We're closing up shop."

Jacques Poirier, 1972.
  "[...] Attaquons donc les messages. Le premier est sans aucun doute celui que Bob et Harry ont obtenu de Mme Taylor. C'est donc par lui que nous allons commencer."
  Il étala sur la table la feuille de papier, et tous purent lire:


O deuxième personne, parfois si nombreuse!
Il trône sur une étagère, gonflé à craquer.
Les avocats se disent ainsi, les assureurs souvent.
Ce que peut un sourd, même un paralytique.
Un bon moyen de s'amuser.


  "Et vous trouvez que ça ressemble à un message! s'exclama Harry. Pour moi, ce doit être une espèce de code."
  Hannibal balaya du regard ses compagnons:
  "Ce message - appelons-le ainsi pour simplifier les choses - était destiné à M. Roy, celui qui est présentement à l'hôpital. Il parait qu'il est très fort pour déchiffrer les énigmes. Pourquoi ne serions-nous pas aussi astucieux que lui?
  -Parle pour toi! bougonna Peter d'un air sombre.
  -A première vue, continua Hannibal, ces phrases obscures, j'en conviens, font penser à des définitions de mots croisés. J'ai l'impression que chacune d'elles cache un mot... un mot à chercher et à trouver, par raisonnement, tâtonnements, déductions, etc. Et lorsque nous les tiendrons tous, nous aurons une phrase qui sera le message lui-même.
  -Mais quels mots? demanda Peter. Par exemple, qu'est-ce que c'est que cette deuxième personne parfois si nombreuse? Je n'ai jamais vu pareil charabia!"
  Hannibal leva la main:
  "Du calme, du calme! Je reconnais que ces définitions sont bien plus rébarbatives que celles des mots croisés. Mais, enfin, nous sommes quatre. Avec de la bonne volonté, nous devrions arriver à un résultat. Et maintenant, allons-y! Quelqu'un a-t-il une idée au sujet de cette deuxième personne parfois si nombreuse?
  -Comment une personne peut-elle être nombreuse? s'écria Peter. C'est idiot!
  -D'abord, précisa Hannibal, il s'agit de la deuxième personne. Et puis, elle n'est pas seulement nombreuse. Elle est parfois nombreuse. Ce n'est pas la même chose!"
  Il consulta du regard Bob et Harry: "Vous ne trouvez rien? Non? Alors n'insistons pas, du moins pour l'instant. Je suis d'avis que nous prenions une vue d'ensemble du message, que nous tâtions à droite et à gauche. Peut-être ferons-nous en chemin une découverte. Et, si nous avons cette chance, nous reviendrons à la première phrase. Passons donc à la deuxième: Il trône sur une étagère, gonflé à craquer. Qu'est-ce qui peut trôner sur une étagère, gonflé à craquer?"
  Bob suggéra:
  "Un chat... un gros chat bien sûr.
  -Cela pourrait être aussi un vase très rebondi, proposa Harry.
  -Pourquoi pas un livre, de cinq cents pages?" ajouta Peter.
  Hannibal, qui réfléchissait, les yeux fixés sur le message, dressa soudain la tête:
  "En effet, pourquoi pas un livre? Vous voyez, je note ce mot. On verra, par la suite, ce qu'il peut donner."
  Prenant une feuille de papier, il écrivit au crayon feutre le mot "livre".
  "Continuons, reprit-il. Voyons un peu la ligne suivante: Les avocats se disent ainsi, les assureurs souvent.
  Cette fois, il n'eut pas besoin de stimuler ses compagnons. Bob, Peter et Harry commençaient à trouver le jeu amusant. Leurs suggestions crépitèrent.
  "Les avocats se disent parfois civilistes, parce qu'ils s'occupent d'affaires civiles. Non, ça ne marche pas. Les assureurs, eux, ne peuvent pas se prétendre civilistes."
  Bob: "Avocat du diable?"
  Harry: "Avocat stagiaire? Avocat général? Avocat plaidant?"
  Hannibal l'interrompit:
  "Tu brûles Harry! Avocat conseil... assureurs, conseil! Si cette solution est la bonne, c'est toi qui m'as mis sur la voie. Donc, je note: "conseil."
  Il achevait à peine de griffonner ce mot qu'une voix, celle de Mme Jones, pénétra par la lucarne du PC:
  "Hannibal, il se fait tard! Nous fermons boutique. C'est l'heure du dîner."
  Hannibal répondit en utilisant le microphone qui reliait le PC au bureau du dépôt de bric-à-brac:
  "Compris, tante Mathilda. J'arrive."


  Interrompus dans leur premier élan, nos amis n'auront l'occasion de se réunir que dans le Chapitre 13, qui commence toutefois avec Bob, tout seul, et faisant des recherches à la bibliothèque municipale, où il travaille de temps en temps:
Jacques Poirier, 1972.

  "[...] He quickly ate the sandwiches his mother had made so he could spend a few minutes doing some research.
  On a hunch he decided to read up about hurricanes, for a hurricane was mentioned in the first mysterious message. He read a long article in the encyclopedia, and came across a fact which made him jump slightly with excitement. He wrote it down, and then checked up on archery, especially old English bowmen. Again he came on a fact that filled him with suppressed excitement. Next he tried oceans. Nothing that looked useful came to his attention, and lunch hour was over so he went back to work, anxious to get to the salvage yard and tell Jupe and Pete what he had learned."

 
Harry Kane, 1968.
"[...] All right, Bob, what have you learned?"
  "Well," Bob said, " while I was at the library to-day I looked up hurricanes. And there's one quiet spot in the hurricane - the very centre of it. Away from the centre the wind may be blowing at a hundred miles an hour, but in the centre it can be perfectly calm, witth the sun shining."
  "Go on, Bob!" Jupiter said.
  "The centre of a hurricane is called the eye!" Bob said triumphantly. "Get it? Eye is pronounced the same as the pronoun I! I'll bet that's the first word of the message."
  "The only message I want to hear is 'Dinner's ready'," Pete grumbled.
  "I think Bob has hit on something," Jupiter said, rousing himself. "What's your other clue, Bob?"
  "I also looked up archery and old English bowmen," Bob continued. "They used to use wood from the yew tree a lot in making their bows. So if we said that old English bowmen loved yew, we have another word. Y-e-w is pronounced exactly the same as y-o-u."
  "Bob, I think you're right," Jupiter said, after a pause for reflecting. [...]
  "The first line of the message says, 'It's quiet there even in a hurricane.'," Jupiter read. "If Bob's right, the word that is meant is 'eye'." He wrote it down. "Now we already think that the line, 'Just a word of advice, politely given' means 'suggestion'." He wrote that down, too. "So if the line, 'Old English bowmen loved it' means 'yew', we have our first three words like this."
  He wrote: Eye suggest yew.
  "That looks a little funny," he added, but it makes perfectly good sense if we change the wording a little, and get I suggest you."
  "I suggest yo," Pete exclaimed, forgetting his weariness. "That does start out like a sensible message after all. Okay, Jupe, what's the fourth word?"
  "The clue is, 'Bigger than a raindrop; smaller than an ocean',"Jupiter said. "Meaning some body of water smaller than an ocean. That could be a river, a pond, a lake or a sea."
  "Sea!" exclaimed Bob. "Meaning s-e-e. That must be it. Now we come to the fifth clue, 'I'm 26. How old are you?' That's tougher. What's 26 years old?"
  "The suggestion of age is an atempt to mislead us." Jupiter decided. "I'm sure that number 26 means something that is txwenty-sixth in a series of things. The most common thing that comes to mind as being number 26 is - "
  "Let me try!" Pete spoke up. "There are 26 letters in the alphabet. Number 26 is the letter Z. Does that fit?
  "It does if we just use the sound of it," Jupiter told him. "Z sounds like 'the.' And 'the' fits into the message. Now we just need the last clue, 'It sits on a shelf like a well-fed elf.' Any ideas, either of you?"
  "I looked up elves at the library but I didn't find anything," Bob confessed.
  "What sits on a shelf?" Pete asked. "Like an elf?"
  The word elf is just another word to confuse us," Jupiter said. "Bob, you spent the whole day looking at shelves. Didn't it occur to you what sat on them."
  "Books!" Bob yelled. "And every one of them full of words. You could say they were well-fed - with words."
  "I'm sure we have the message now," Jupiter said. "I'll write it out." He did, and got:

  I suggest you see the book."


S. Taugourdeau/D. Benesch, 1988.
  "Il mangea les sandwiches que sa mère lui avait préparés avant son départ de la maison.
  C'est alors qu'il lui vint une idée: "Si je profitais de ce répit pour faires quelques recherches? On ne sait jamais, je découvrirai peut-être quelque chose."
  N'ayant pas sous la main le texte du premier message, celui qu'il avait déjà étudié la veille en compagnie d'Hannibal, de Peter et d'Harry, il fit un effort de mémoire: "Voyons, qu'avons-nous trouvé? Deux mots: conseil et livre. Puisque je dispose d'un moment, il faudrait essayer de pousser un peu plus loin."
  L'une des phrases du message l'avait frappé: Ce que peut un sourd, même un paralytique. "Avant tout, décida-t-il, je vais procéder de façon rationnelle, tout bêtement. Ce qu'il faut, c'est rassembler des éléments. Ensuite, on rapproche ces éléments, on réfléchit. Souvent c'est ainsi que la lumière jaillit."
  Il prit donc une encyclopédie et lut les articles consacrés aux sourds et à la surdité, aux paralytiques et aux diverses formes de paralysie. Comme il s'y attendait un peu, il ne découvrit rien dans ces articles touffus qui pût l'éclairer.
  Il se prit la tête dans les mains, essaya de se représenter un sourd, puis un paralytique:
  "Un sourd peut marcher, toucher, penser, voir. Un paralytique..."
  Il n'alla pas plus loin. Il avait soudain trouvé deux solutions possibles. Et comme il n'avait plus le temps de s'y attarder [...], il passa à une autre phrase: O deuxième personne, parfois si nombreuse! Il resta les yeux fixés une bonne minute sur ces six mots, dont l'assemblage lui semblait bien bizarre.
  "C'est quelque chose d'absolument idiot! maugréa-t-il. A quoi bon continuer?"
  Mais il se ressaisit: "La méthode bêtement rationnelle! Il n'y a que ça de vrai."
  Il rouvrit l'encyclopédie, au mot "personne". L'article s'étendait sur plusieurs colonnes. "Quelle barbe!" songea Bob. Tout de même, il tint bon, alla jusqu'au bout. Et, tout à coup, un éclair: "Deuxième personne, parfois si nombreuse! Parbleu, ce n'est pas une encyclopédie, c'est une grammaire. Mais à quoi bon aller jusqu'à la source? La cause est entendue!"
  [...] Il avait hâte de rejoindre Hannibal et Peter au Paradis de la Brocante et de les mettre au courant de ses découvertes."
 
Roger Hall.
"[...] On pourrait au moins écouter ce que Bob veut nous dire, suggéra Hannibal. Vas-y Bob.
  -Eh bien, voilà. Cet après-midi, à la bibliothèque, pendant l'heure du déjeuner, j'ai réfléchi. J'ai étudié des phrases du premier message. D'abord celle-ci: Ce que peut un sourd, même un paralytique. J'ai essayé d'employer une méthode rationnelle. J'avais une encyclopédie sous la main. Je l'ai ouverte, ça n'a pas donné grand-chose. Alors, je me suis pris la tête dans les mains. Et j'ai trouvé soudain deux solutions. Oh! bien simples. Mais sait-on jamais?
  -Alors? fit Hannibal.
  -Remarquez bien, ce ne sont que des hypothèses. Cependant, d'hypothèse en hypothèse on arrive parfois... Bref, ce que peuvent faire aussi bien l'un que l'autre un sourd et un paralytique, c'est voir ou penser. A franchement parler, je préfère voir.
  -Pas mal, admit Hannibal. Que dis-tu de ça, Peter?
  -Vous commencez à me casser les pieds! bougonna Peter. En ce moment, la seule chose qui m'intéresse, c'est de me mettre à table et de faire un bon dîner!"
  Hannibal se retourna vers Bob: "Continue. A quelle autre phrase, t'es-tu attaqué?
  -A celle-ci: O deuxième personne, parfois si nombreuse. A première vue, ça parait idiot, n'Est-ce pas?
  -Plutôt, soupira Hannibal.
  -Cette fois encore, j'ai voulu me servir l'encyclopédie. C'était chercher midi à quatorze heures. Rien ne vaut la réflexion, l'intuition surtout.
  -Et alors? insista Hannibal.
  -Alors? ça va te paraître bête comme chou, Babal. Il fallait seulement y penser. La deuxième personne, qu'est-ce que c'est? C'est "vous". On l'emploie aussi bien au singulier qu'au pluriel. "Madame, vous êtes très élégante". "Soldats, vous vous êtes magnifiquement battus".
  "J'ai l'impression que tu as raison", dit Hannibal pensif, en pinçant sa lèvre inférieure.
  [...] "Résumons-nous. Nous disposons déjà... je n'affirmerai pas qu'il s'agit de solutions, mais d'idées. Oui, nous avons des idées pour la deuxième ligne du message et pour la troisième. La deuxième est: Il trône sur une étagère, gonflé à craquer. Là, j'ai noté "livre", et cela semble pausible. Troisième ligne: Les avocats se disent ainsi, les assureurs souvent. J'ai noté "conseil". Voyons maintenant les trouvailles de Bob.
  -De simples hypothèses", fit Bob avec modestie.
  Hannibal lui rappela:
  "Nous sommes des espèces de chercheurs. Nous devons saisir tout ce qui passe à notre portée. Si j'ai bien compris, Bob, tu as étudié la quatrième ligne: Ce que peut un sourd, même un paralytique, et la première: O deuxième personne, parfois si nombreuse! Je me demande d'ailleurs pourquoi tu t'es intéressé à la quatrième avant la première. Mais peu importe. Pour la quatrième, tu proposes...
  -Voir ou penser. Je préfère voir.
  -Je note "voir". Et pour la première ligne?
  -Simplement le pronom personnel "vous".
  -Je note "vous".
  Hannibal réfléchit un instant, puis il lut à haute voix les mots alignés sur sa feuille de papier:
  "Livre... conseil... voir... vous. Evidemment, ça ne signifie pas grand-chose."
  Peter, qui restait de mauvaise humeur, siffla entre ses dents:
  "Dis plutôt que c'est de plus en plus idiot!
  -Sait-on jamais?" murmura Hannibal d'un ton rêveur.
  Au bout de quelques secondes, il ajouta:
  "Il nous reste une ligne, la dernière. C'est peut-être elle qui cache la clef de l'ensemble. La voilà: Un bon  moyen de s'amuser. Concentrons-nous."
  Il y eut alors soudain un profond silence dans le PC. Hannibal pinçait sa lèvre inférieure. Bob regardait au loin, sourcils froncés. Seul Peter affectait l'indifférence.
  "C'est bien joli de se concentrer, dit-il. Mais à quoi ça sert? Des moyens de s'amuser, il y a cent, deux cents! Nous n'allons tout de même pas les passer tous en revue!"
  Mais Hannibal et Bob ne semblaient pas l'écouter. Bob murmura:
  "Les cartes? Le sport?
  -Les films comiques?" suggéra Hannibal.
  Peter explosa:
  "Ce que vous pouvez être bêtes! Moi, je dis que le bon moyen de s'amuser, c'est le jeu. Oui, le jeu en général!"
  Bob et Hannibal le dévisagèrent, encore incrédules. Peter ordonna:
  "Babal, note immédiatement le mot jeu, qu'on en finisse!"
  Hannibal, avec une docilité qui ne lui était pas habituelle, écrivit donc le mot jeu.
  "Je fais cela par acquit de conscience, dit-il. Maintenant, ça donne: Livre... conseil... voir.. vous... jeu. J'ai l'impression que nous ne sommes pas plus avancés..."
  Mais Peter, si passif jusque là, changeait d'humeur, s'animait et commençait à trouver son sourire:
  "Vous m'étonnez tous les deux! En général, vous avez l'esprit plus vif. Le mot "jeu, êtes-vous sûrs qu'il ne faut pas le prendre dans un autre sens? Le cher Théodule Tick a probablement plus d'un tour dans son sac. Moi, je dis qu'il faut entendre "jeu" comme la pronom personnel "j". Oui tout bonnement. Et, tenez, je vais vous aider encore un peu. Il y a un autre mot qui me taquine. C'est "conseil". Pourquoi ne serait-ce pas le verbe "conseiller", à la première personne du singulier du présent de l'indicatif? ça donnerait: Je vous conseille..."
  Hannibal lut les autres mots griffonnés sur sa feuille de papier:
  "Voir... livre...
  -Vous comprenez reprit Peter, Théodule Tick adressait ses messages à des gens perspicaces, rompus à ce genre d'énigmes. Et maintenant, Hannibal, qu'est-ce que ça donne?
  -Je vous conseille voir livre.
  -C'est du style télégraphique. Pas de doute, il faut l'interpréter ainsi: Je vous conseille de voir le livre."
 
    C'est en solo, et au Chapitre 14, que Jupiter/Hannibal viendra à bout du deuxième message:

  "[...] The second message, which he and Pete had obtained from Gerald Watson, he spread out in front of him.
  On the face of it, it was very mystifying. The six lines of the message said:
Take one lily; kill my friend Eli.
Positively number one.
Take a broom and swat a bee.
What you do with clothes, almost.
Not Mother, not Sister, not Brother; but perhaps Father.
Hymns? Hams? Homes? Almost, not quite.

  However, after he had read it a couple of times, Jupiter began to get some ideas. Solving the first message had shown him the right way to proceed. Each line was a clue to a word, rather like the clues in crossword puzzles.
  The first line said to take one lily. He did this by writing the words down on a sheet of paper, so that he had: ONE LILY. He stared at it for a moment. Where did Eli come in? Then he saw it. The three middle letters of the two words spelled ELI!
  Triumphantly Jupiter rubbed out the three letters, thereby "killing" Eli. What he had left was ONLY.
  "Only!" Jupiter exclaimed to himself. "That's it! Now the second line says, 'Positively number one.' In the first message, number twenty-six stood for the letter Z. Suppose number one stands for A? That fits fine. The message starts 'Only a -'."
  Without even stopping, he wrote down BROOM, from the third sentence, and erased the B, for the line said, 'Take a broom and swat a bee.' What was left was the word ROOM.
  Jupiter now working with increasing excitement, talking to himself as he sometimes did when working alone.
  "'What you do with clothes, almost.' Well, what do you do with clothes? You wear them, naturally. What word is almost 'wear' but not quite? How about 'where'? That has to be it. Now the message is, 'Only a room where -'. That makes sense so far."
  He wrote it down, and the tackled the fifth line.
  This gave him more trouble. He tried different words for father, such as "Dad," "Pop," "head of the family." But none of them made any sense.
  He stopped and pinched his lip. Suppose the word father was meant to suggest something more. Father Christmas? No, that didn't seem to fit. Father Time? This whole business was about clocks, so that must be it. Father Time!
  Now he dashed off the last line. What sounds almost, but not quite, like hymns, hams, and homes? There were only two likely words, hems and hums. Hems did't fit. Hiums did. With a feeling of triumph he wrote down Only a room where Father Time hums.
  But time doesn't hum. It just passes by silently. Or if you mean a clock, it ticks by, unless -
  "That's it!" Jupe exclaimed to himself. "All those clocks in Mr. Clock's study are electric, and they all hum. That's a room where time really humd."
  Now he had two complete messages.

I suggest you see the book.
Only a room where Father Time hums." 
Jacques Poirier, 1972.
   "[...] [Il] déplia le deuxième, celui qu'il avait obtenu de Gerald Watson, lors de la visite qu'il lui avait faite en compagnie de Peter. 
  Il lut avec étonnement ce texte obscur:


Exactement la première de cent.
Souvent c'est la nuit qu'elle fait mal
C'est la seule où ronronne... Quoi?
L'orgue? Le chat? Le glissement des années? 
Ce gamin aurait bien besoin
D'une pièce à sa culotte!
Mais pas avant août...


  Après avoir lu le texte deux fois, Hannibal resta un moment perplexe. Puis il reprit espoir en se souvenant du premier message: "C'est peut-être la même règle... si l'on peut parler de règle. Dans la plupart des cas, chaque ligne contient une indication, fournit en quelque sorte un mot. Donc, rien à voir avec les définitions des mots croisés. Mais il ne faut pas s'y fier. Tout de même essayons... avec prudence, car ce Théodule Tick a souvent l'esprit tordu..."
  La ligne par laquelle commençait le message était ainsi rédigée: Exactement la première de cent. Hannibal réfléchit: "La première... le premier? Oui, pourquoi pas le premier? Ce serait une astuce de Théodule! Donc, qu'est-ce qui est le premier de cent? Parbleu, c'est un."
  Il nota "un", sur la même feuille de papier qui lui avait servi pour le premier message.
  "Il n'est pas possible que ça continue ainsi, pensa-t-il. Ce serait trop facile. Après tout, "un" ou "une" n'est peut-être pas la bonne réponse. Avec Théodule, on ne sait jamais! Il a plus d'un tour dans son sac, l'animal!"
  Il conclut, énergiquement:
  "Continuons. L'essentiel est d'aller jusqu'au bout. Il sera toujours temps de revenir en arrière si le résultat paraît insuffisant."
  Il continua donc. Deuxième ligne/ Souvent c'est la nuit qu'elle fait mal. Il scruta les mots l'un après l'autre, puis essaye de creuser le sens général.
  il se répétait: "Qu'est-ce qui fait souvent mal la nuit? Une pensée désagréable qu'on oublie dans la journée et qui reparaît durant les heures d'insomnie? Une douleur physique? Oui, ce serait plutôt cela. Mais quelle douleur physique?"
  Hannibal avait une santé éclatante. Pas une maladie. Jamais le moindre malaise. Bien sûr, il lui arrivait d'avoir une petite migraine et aussi, après un match de football, une crampe passagère au mollet. En somme, dix fois rien... Sauf... et ce fut comme une illumination! Une nuit, deux ans plus tôt, il avait été réveillé par une douleur semblable à un coup de canif dans la mâchoire: une molaire cariée qui révélait ainsi son existence. Hannibal avait cru en perdre la tête. Oh! il n'avait rien oublié. Ces choses-là ne s'effacent jamais de la mémoire.
  "Ce qui souvent fait mal la nuit, c'est la dent!"
  Et il écrivit "dent" sur sa feuille de papier. Les deux mots formaient "une dent".
  "Ca ne signifie pas encore grand-chose, murmura Hannibal. Mais c'est un début."
  Il se jeta come un affamé sur la troisième ligne du message... et s'aperçut qu'elle formait corps avec la quatrième:
  C'est la seule où ronronne... Quoi?
  L'orgue? Le chat? Le glissement des années?
  "Ca alors! maugréa-t-il. Me voilà en plein cirage!"
  Il examina chaque mot, chaque groupe de mots, essaya différentes combinaisons. Puis il regarda les deux lignes en rejetant la tête en arrière, en prenant quelque distance, comme on fait pour tenter de percer le sens d'un tableau abstrait.
  Mais aucune lumière ne s'allumait dans son esprit.
  "La seule quoi? Et puis comment pourrait-on dire que le glissement des années ronronne de la même façon que le chat ou l'orgue... quand on en joue en sourdine naturellement? Qu'est-ce que c'est que ce glissement des années qui ronronne dans la seule... Dans la seule quoi?" répéta-t-il en frappant du pied avec impatience.
  A ce moment, s'il avait tenu Théodule Tick à sa merci, il lui aurait fait passer un mauvais quart d'heure.
  Il se ressaisit pourtant et se pencha sur les deux lignes suivantes, qui elles aussi se tenaient:
  Ce gamin aurait bien besoin
  D'une pièce à sa culotte.
  Il faillit alors céder au découragement. Depuis le début du message, il n'avait en somme trouvé que deux mots: Une dent. Maigre moisson!
S. Taugourdeau/D. Benesch, 1988.
  Hannibal savait qu'il ne fallait pas prendre à la lettre un texte dû à l'excentrique Théodule Tick. Par exemple, cette ridicule histoire de pièce de culotte... Était-ce le mot culotte qu'il fallait retenir ou le mot gamin? Tout était possible. A moins que le mot pièce pris dans un autre sens...
  Hannibal se décida, plus par intuition que par raisonnement. Il nota "pièce" et s'attaqua à la dernière ligne du message:
  Pas avant août.
  Il commençait à se familiariser avec les astuces de Théodule Tick.
  "Quel est celui de ces trois mots que je vais noter? se demanda-t-il. Pas? Avant? Août?"
  Pas et avant ne lui disaient rien qui vaille. Restait août...
  "Pourquoi, réfléchit-il, ne serait-ce pas tout bonnement l'adverbe où? En tout cas, ce serait bien dans la manière de Théodule!"
  Il nota donc "où" et relut les mots qu'il venait d'aligner sur la feuille de papier:
  "Une dent où..."
  Il les regarda et fut repris par un découragement profond: "Je ne m'en tirerai pas! Je perds mon temps. J'ai eu tort de croire que je pouvais me passer de Bob et de Peter. J'aurais mieux fait d'attendre demain..."
  Mais quelque chose en lui refusait la défaite. Il reprit un peu espoir en se souvenant qu'il n'avait pas encore poussé à fond l'examen du message. N'avait-il pas jeté un regard bien superficiel à plusieurs lignes qui semblaient trop compliquées? Par exemple, la troisième et la quatrième, la cinquième et la sixième...
  Il se pencha de nouveau sur la troisième et la quatrième:
  C'est la seule où ronronne... Quoi?
  L'orgue? Le chat? Le glissement des années?
  Il eut tout à coup l'impression que quelque chose résonnait dans sa tête... un souvenir, mais proche et frais encore. Il chercha, se posa une question: "Dans quoi tout cela peut-il résonner?" Brusquement, il comprit: dans une salle, une chambre, une pièce... avec un sens bien différent de la pièce dont le gamin avait besoin à sa culotte! Et pourquoi pas une "seule" pièce? Il nota en hâte ces deux mots et les ajouta aux précédents: Une dent où une seule pièce.
  "C'est toujours aussi stupide!" murmura Hannibal.
  Néanmoins, il ne songeait plus à lâcher prise. Une intuition lui disait qu'il progressait et qu'il finirai bien par déjouer tous les pièges du diabolique Théodule.
  "Il y a sûrement encore autre chose dans ces deux lignes", se dit-il.
  Il pesa chaque terme de la deuxième: L'orgue? Le chat? Le glissement des années?
  Il raisonna:
  "Le chat? Evidemment, il ronronne. Mais c'est si banal! L'orgue? En sourdine, on arrive à lui faire produire une sorte de ronronnement... mais dans une église, sûrement pas dans une pièce comme celle dont il est question ici. Reste le glissement des années..."
  Il se répéta:
  "Glissement des années... Les années sont faites de mois, d'heures, de minutes... Mais c'est le temps, tout simplement!"
  Il griffonna sur la liste, à la suite des autres mots: le temps. Cela donnait: Une dent où seule pièce le temps.
  "Il manque un verbe, remarqua-t-il. Il n'y en a qu'un dans ces deux lignes: ronronne."
  Il nota encore: ronronne, et lut à haute voix:
  "Une dent où une seule pièce le temps ronronne... Il faudrait construire. Quel fouillis!"
  Il serra sa tête dans ses mains. Un détail, d'abord, lui apparut: le mot "dent".
  "Encore un piège de Théodule! Un mot sans doute pour un autre. Si je remplaçais "dent" par "dans""?
  Il opéra le remplacement sans le moindre retard. Alors les choses se précipitèrent. En moins d'une minute, il trouva ce qui lui paraissait la solution:
  Dans une seule pièce où ronronne le temps.
  Il ajouta cette solution à celle du premier message:
  Je vous suggère de voir le livre
  Dans une seule pièce où ronronne le temps."

  Merci si vous avez pris le temps de tout lire. Il faut dire que Jean Muray a conséquemment rallongé le texte. Il suffit de comparer le passage du Chapitre 14: le texte français fait trois fois plus de lignes! En fait-il trop avec ses nombreuses références à l'auteur des messages? Ne sort-il pas de son rôle de tradiucteur en ajoutant constamment des choses qui n'existent pas dans le texte original? Je conviens que les messages sont intraduisibles en tant que tel et qu'il ne pouvait faire autrement d'adapter mais n'aurait-il pas du, tout en changeant les mots, rester dans le cadre, le canevas de l'auteur original? Encore une fois, je ne juge pas le travail du traducteur, mais c'est un long débat et je préférais me contenter de livrer tout ça aux personnes les plus intéréssées et assidues à mon projet pour qu'elles constatent l'énorme différence entre les deux textes.
  Je ne peux terminer toutefois sans quelques commentaires sur les illustrations françaises. Vous remarquerez que Jacques Poirier et le tandem Taugourdeau/Benesch ne semblent pas d'accord sur l'âge des protagonistes. Je ne me suis jamais penché sur la question, mais Taugourdeau/Benesch sont plus en phase avec les personnages créés par Robert Arthur. Jacques Poirier leur a donné plusieurs années de plus. Je pense que c'est volontaire de la part de Taugourdeau/Benesch à cause d'un détail: le hibou. Ils ont certainement vu celui-ci figurant sur l'illustration de Poirier et s'en sont peut-être inspirés pour les leurs. S'ils ont vu le travail de leur prédécesseur, ils ont donc pu s'en détacher concernant l'âge des personnages (toutefois, ils ne collent pas forcément avec tous les détails physique donnés à l'origine par l'américain). Je peux me tromper, mais j'aime bien cette hypothèse.

The Mystery of the Screaming Clock/Les Douze Pendules de Théodule, Robert Arthur. Traduit (et en partie adapté!) de l'américain par Jean Muray.

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