"Rana Toad", ça se mange?

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samedi 10 octobre 2015

The Three Investigators 6.The Secret of Skeleton Island (1966)/Les Trois Jeunes Détectives 6.Le Spectre des Chevaux de bois (1970)

  Premier indice, dans le Chapitre 1, Hannibal réfléchissait au moyen de voler les bijoux de la Nagasami Jewellery Company, à l'indignation de ses deux subordonnés, qui pensaient à quelque chose de moins criminel:

  "We'll be wasting our time," Pete said. "We'd be a lot better off to go and take some more skin-diving and scuba lessons. We still have a lot to learn about  handling  the diving gear."
  "I vote with Pete," Bob declared. "Let's practise our diving. As soon as we're good at it, Dad has promised us a camping trip in lower California, where we can catch live lobsters in the rocks."

  "Perte de temps! décida Peter. Nous ferions mieux de nous exercer à la plongée sous-marine. Ce serait bien plus amusant.
  -D'accord, dit Bob. Papa nous a promis de nous emmener à la pêche au homard dès que nous serions capables de plonger comme il faut."

  Deuxième indice, dans le Chapitre 14, Bob s'inquiète de ne pas avoir de nouvelles Jupiter/Hannibal et Peter après leur nuit passée chez Mrs. Agawam/Allward et dit à Hans, l'un des frères Bavarois:
 
  "He ought to be up by now." Bob's forehead furrowed. "I better call, then we'll go down and get him. We're going to take more lessons in scuba diving today."

  "Pourtant, il devrait être déjà levé. Je vais lui passer un coup de fil. Nous comptions faire de la plongée aujourd'hui."

  Et troisième et dernier indice, dans le Chapitre 18, une fois les deux énigmes résolues, et qu'Alfred Hitchcock (et les lecteurs) ont bénéficié des dernières explications:

  "[...] As they got up to leave, the director asked, "And what is on the agenda now, lads?"
  "Skin-diving lessons," replied Pete promptly, and Bob nodded.

  Ce petit dialogue est occulté par la traduction française. Alfred Hitchcock demande ce que les jeunes garçons ont prévu de faire et Pete répond, vous l'aurez compris, qu'il vont enfin les prendre, leurs leçons de plongée! 

Jacques Poirier, 1970.
  Les trois indices cités plus haut n'étaient certainement pas dû au hasard, preuve en est qu'une fois de plus Robert Arthur respecte la continuité interne à la série puisque The Secret of Skeleton Island/Le Spectre des Chevaux de bois débute dans le bureau d'Alfred Hitchcock et que le réalisateur a justement besoin des compétences de nos trois amis pour l'affaire qu'il leur propose.

  Il y avait de petites différences de traduction, typique de Bellini/Volkoff, dans les extraits repris plus haut, mais je ne m'y arrêterai pas. Ou plutôt devrais-je dire "je ne m'arrêterai plus". Car, après cinq tomes d'ambiguïté concernant l'identité du premier traducteur entre une obscure Tatiana Bellini et un Vladimir Volkoff plus reconnu, Le Spectre des Chevaux de bois marque un changement important pour l'édition française. La traduction de ce sixième tome a été confiée à quelqu'un d'autre.
  Cela me donne l'opportunité de commencer à faire quelque chose que j'avais en tête depuis le début du projet, c'est-à-dire vous donner quelques informations biographiques sur les intervenants anglo-saxons et français (illustrateurs, auteurs et traducteurs). Afin de ne pas faire un article principal trop long, je vous renvoie via un lien vers un article annexe consacré au premier traducteur français de la série, Vladimir Volkoff (1932-2005).

  Je reviens maintenant sur The Secret of Skeleton Island/Le Spectre des Chevaux de bois. La traduction est signée Olivier Séchan. Je peux d'ors et déjà vous dire que le texte français est beaucoup plus fidèle que l'original. Par contre, il est vrai que ça donne moins de choses à dire. Quoique.

  Jupiter/Hannibal, Peter et Bob doivent se rendre à l'Île aux Squelettes (celle du titre original) où toute l'équipe technique d'un film les attendent. Parmi cette équipe se trouve d'ailleurs Mr. Crenshaw/M.Crentch, le père de Peter, ce qui me donnera l'occasion d'un article annexe consacré à ce personnage (même s'il n'est pas illustré une seule fois pour ce roman). Les trois amis sont appelés car le tournage du film Chase me faster est menacé par des vols de matériel qui empêche son bon fonctionnement. C'est leur bonne réputation en tant que détectives qui leur vaut cette mission... et même s'ils sont censés s'y atteler incognito, c'est pour la même raison qu'on va leur mettre des bâtons dans les roues dès leur arrivée sur l'île. Ce n'est donc plus une simple pêche au homard comme il était fait allusion au début du roman qui précède.

  J'ai déjà signalé que le texte français d'Olivier Séchan était bien plus fidèle que celui de Vladimir Volkoff. Cependant, dès le Chapitre 2 et l'arrivée des protagonistes à destination, on remarque quelques différences:

  "The plane was gliding down over a long narrow bay - Atlantic Bay. Bob pointed to a small island almost directly below them. Its shape bore a curious resemblance to that of a skull.
  "I recognize the shape from the maps Mr. Hitchcock gave us," Bob said.
  [...] Another island, much smaller, came into view.
  "Then that must be The Hand!" Jupiter said.
  "And those are The Bones," Pete added, pointing to a scatter of narrow reefs between Skeleton Island and The Hand. "Golly, think of it! We left Rocky Beach after lunch and here we are in time for dinner."
  "Look," Bob said. "The Hand does look sort like a hand. The fingers are rocky reefs that are under water most of the time, but from up here they're very clear."
Jacques Poirier, 1970.
  "L'appareil descendait doucement au-dessus d'une longue baie encaissée: la baie de l'Atlantique. Bob montra du doigt une petite île, presque directement au-dessous d'eux.
  "J'ai reconnu ses contours d'après les cartes que M. Hitchcock nous a données", dit-il.
  [...] Une autre île, beaucoup plus petite que la première, venait d'apparaître.
  "Alors, celle-là, ce doit être l'île au Chien! dit Hannibal.
  -Et ça, ce sont les Osselets, ajouta Peter, en désignant une étroite ligne de récifs qui s'étendait entre l'île au Chien et l'île aux Squelettes.
  -Regardez! reprit Bob. L'île au Chien ressemble vraiment à un chien couché, de là son nom... Quant à ces récifs qui sont comme les pattes du chien, ils doivent être sous l'eau la plupart du temps, mais du ciel on les voit très nettement."

On constate par ordre croissant d'importance:
  -L'omission de la remarque de Pete: "Golly, think of it! We left Rocky Beach after lunch and here we are in time for dinner" que je traduirai pas et que j'avais aussi occultée dans un premier temps, ne la jugeant pas pertinente pour mon propos. Par contre, je ne trouve pas sa suppression légitime de la part du traducteur.
  -L'omission de "Its shape bore a curious resemblance to that of a skull" que je traduirais "Sa forme ressemblait curieusement à celle d'un crâne.". Pourquoi omettre ce détail? Parce que ce n'est plus cohérent avec la différence qui suit?
  -"The Hand" (la Main") devient "l'île au Chien" et est adaptée en accord dans la remarque de Bob à la fin de l'extrait (et bien évidemment tout au long du roman). Jacques Poirier colle même au texte d'Olivier Séchan en dessinant l'île en forme de chien, en bas à gauche de son illustration.

  Déjà, dans l'aventure précédente on découvrait l'explication du titre L'Arc-en-ciel a pris la fuite au beau milieu du roman. Celle de ce glissement entre "La Main" et "l'île au Chien"se trouve dans le Chapitre 6:

  "[...] Yesterday I am washing dishes. I hear men talking in the last booth of tavern. One says, 'Three kid detectives, huh? Well, I'll hand them a surprise. I'll hand them something they won't forget!' Then they all laugh."
  Jupiter pinched his lip thoughtfully. "Tell me, Chris, when this man spoke the word 'hand' did he do it with special emphasis?" he asked.
  "He means did he say 'hand' in some special way?" Bob interpreted as the Greek boy looked puzzled.
  "Oh, yes he does!" Chris exclaimed. "Each time he says 'hand' he makes the voice deeper and louder. So when I hear three boys are missing, I think to myself, where could anyone hide three boys? Then I remember the funny way that man says 'hand'."
  "And you deduced that he was referring to the island called The Hand!" Jupiter exclaimed.

  "[...]Hier soir, je lave les assiettes. J'entends des hommes parler dans la dernière salle de la taverne. L'un dit: "Ces trois gamins détectives? Hein? Je leur réserve un chien de ma chienne! Ouais, un chien de ma chienne, qu'ils n'oublieront pas!" Et tous, ils rient, très fort."
  Hannibal serra les lèvres, en réfléchissant.
  "Dis-moi, Chris, reprit-il. Quand cet homme a prononcé le mot "chien", l'a t-il fait en accentuant particulièrement?
  -Eh oui! justement! s'exclama le jeune Grec. chaque fois qu'il dit "chien", sa voix est plus forte, plus méchante. Ensuite, quand j'apprends que les trois garçons ont disparu, je me suis demandé: "Hé! Chris! Où quelqu'un aurait pu les cacher?" Je me rappelle alors la manière de dire "chien" chez cet homme..."
  -... Et tu en déduis qu'il faisait allusion à l'île au Chien! s'écria Hannibal."

  Voici donc pourquoi le texte français adapte le nom de la petite île pendant tout le roman. "Garder un chien de sa chienne" signifie garder rancune à quelqu'un, préparer une vengeance. Ce n'est tout à fait exact dans le texte original: même si Sam Robinson est un complice des frères Ballinger, dont je ne dirai pas trop pour éviter de révéler la fin du roman, emmener les jeunes détectives n'est pas le fruit d'une vengeance, c'est juste un plan répondant à l'objectif des malfaiteurs. A la décharge d'Olivier Séchan, il n'est pas facile de trouver une expression avec le mot main qui corresponde exactement au texte de Robert Arthur. Peut-être qu'il aurait pu adapter ça en "J'ai leur destin en main" ou "Je vais leur donner un coup de main" (il n'aurait pas été difficile de percevoir le ton ironique, puisqu'"ils rient").

  A noter aussi qu'Olivier Séchan occulte l'intervention de Bob qui paraphrase son chef, car Chris ne comprend pas les mots de Jupiter/Hannibal. Or c'est une allusion humoristique au fait que ce dernier se montre parfois trop intello en utilisant des mots compliqués. C'est un trait caractéristique du personnage qui revient souvent et qu'il est dommage de gommer.

  Le dialogue cité ci-dessus me permet aussi d'aborder la présence du jeune Chris Markos, l'ami grec pour une aventure (comme le veux la tradition robertarthurienne, d'un jeune étranger par aventure). L'utilisation du présent au lieu du passé composé ou de l'imparfait, des phrases parfois rudimentaires et d'autres erreurs de syntaxes définissent sa façon de parler, tout comme les personnages qui l'ont précédé dans ce rôle (Carlos, Hamid etc.). Il apparait pour la première fois dans le Chapitre 3, alors que nos trois amis ont été abandonnés sur The Hand/l'île au Chien par Sam Robinson:

  "[...] A boy in a windbreaker jacket and trousers rolled up to the knees stood on the sandy shore.
  He flashed his light briefly over their faces, then reversed it to shine it on himself. They saw a tanned, smiling face topped by dark curly hair. Merry black eyes glinted at them.
  "Ahoy!" he said, in a voice with a foreign accent. "You are the three detectives, yes?"
  It seemed that everyone knew who they were.
  "We're The Three Investigators," Jupiter said. "We're certainly glad you found us."
  "I think I know where to look for you," the boy said. He was almost as tall as Pete, but skinnier, though he had powerful chest and arm muscles. "I am Chris Markos. Chiristos Markos, in full, but call me Chris, okay?"

  "[...] Sur la plage se tenait un jeune garçon portant une veste imperméable et des pantalons roulés jusqu'aux genoux.
  L'inconnu lança un bref rayon de sa lampe sur leurs visages, puis il la retourna pour s'éclairer lui-même. Ils virent un visage tanné et souriant, surmontés de cheveux noirs bouclés. Des yeux bruns vifs les regardaient avec curiosité.
  "Salut! C'est vous les Trois jeunes détectives, oui?" dit-il avec un fort accent étranger.
  Décidément, il semblait que, ce soir, tout le monde connût leur identité!
  "Oui, c'est nous, répondit Hannibal, et nous sommes drôlement contents que tu nous aies découverts!
  -Et moi, j'avais idéee que vous étiez là!" répondit le garçon. Il était presque aussi grand que Peter, mais plus maigre, bien qu'il eût la poitrine large et des bras musclés. "Moi, je suis Chris Markos. Christian Markos, mon nom entier, compris? Vous m'appelez Chris, d'accord?"

  Il y a bien des différences mineures (l'ajout de "ce soir", les points d'exclamation, "Christian" à la place de "Christos") mais vous voyez bien que dans l'ensemble la traduction colle au texte original. Je pourrai aussi pointer du doigt l'utilisation du pluriel pour "pantalon" qui est normal en anglais, mais qui sonne très bizarre en français à moins que Chris ait tellement froid qu'il en porte deux.

   Au début du Chapitre 2, dans l'extrait plus haut j'ai volontairement omis les quelques lignes qui suivent:
  "Skeleton Island had once, more than three hundred years before, been a pirate hangout. Although Mr. Hitchcock had said there was no pirate gold buried there, maybe he was wrong. Maybe there was still some treasure to be found."

  "Jadis, plus de trois cents ans auparavant, l'île au Squelettes avait été un repaire de pirates. Bien que M. Hitchcock leur eût affirmé qu'il n'y avait pas de trésor enfoui, il était possible qu'il se trompât. Peut-être restait-il encore un peu d'or à découvrir?"

  C'est dans le Chapitre 3 que nous sont donnés plus de détails concernant l'historique des îles. Je ne garde ici que ce qui sera vraiment important pour mon propos:

  "While his crew was being slaughtered, the captain himself had escaped with his treasure chests in a longboat. The British commander, as anxious to recover the gold as to exterminate the pirates, gave chase.
  Captain One-Ear, finding he could not escape, made a final stand on The Hand. Here his remaining men were killed and he was captured, badly wounded. But the chests that the British had been so anxious to recover turned out to be empty. The treasure had disappeared. The Hand was too rocky for him to have buried the gold there, and the British could find no other hiding place. To all questions, Captain One-Ear gave only one laughing answer:
  "Davy Jones has my gold doubloons in his grasp now, and he'll hold them tight until he decides to give him back. And that won't be until the crack o' doom!"

  "Pendant que son équipage se faisait massacrer, le capitaine s'échappait dans une chaloupe en emportant
ses coffres de trésors. Le commandant britannique l'avait pourchassé, car il tenait au moins autant à récupérer cet or qu'à exterminer les pirates.
  Le capitaine N'a-qu'une-Oreille constata qu'il ne pouvait s'échapper, et il se réfugia sur l'île au Chien. A l'aube, les hommes qui lui restaient furent tués, tandis que lui-même était grièvement blessé. Mais ces coffres, dont les Anglais tenaient tant à s'emparer, ces coffres étaient vides. Le trésor avait disparu. L'île au Chien était de sol trop rocheux pour qu'on ait pu y enfouir l'or, et l'Anglais ne parvint pas à découvrir une autre cachette. A toutes les questions, le capitaine N'a-qu'une-Oreille se contenta de répondre en ricanant:
  "C'est le Génie de la mer qui a maintenant mes doublons, entre ses pattes, et il les gardera jusqu'à ce qu'il décide de les rendre. Mais ce ne sera pas avant le jour du Jugement dernier!"

  Je m'arrête sur ce "Davy Jones". Il y sera fait allusion encore deux fois et Olivier Séchan ne se contente jamais de recopier ce nom, il l'adapte. Avant d'en donner la raison, voici les deux occurrences ultérieures de ce nom:

-Au Chapitre 7, Tom Farraday, le gardien de l'île déclare:
  "When Davy Jones takes something, he doesn't often give it back" et Olivier Séchan traduit par: "Quand la grande baille prend quelque chose, elle n'aime pas le rendre!".
-Au Chapitre 16, Jupiter/Hannibal dévoile la solution (désolé pour le spoiler) concernant le trésor du capitaine One-Ear/N'a-qu'une-Oreille:
  "[...] All he would say was, "Davy Jones has the doubloons in his grasp and nobody will see them again until Davy Jones decides to give them up."
  "Well?" Bob asked.
  "Don't you see?" Jupiter replied. "If he had just dumped the doubloons overboard, he'd have said they were in Davy Jones's locker. But he said 'grasp.' Now what do you grasp with?"
  "Your hand, of course!" Bob said excitedly. "Golly, Jupe, you mean - "
  Jupiter nodded. "It's the only logical answer," he said. "After he saw he couldn't escape, Captain One-Ear emptied all his stolen treasure down the blowhole. The he teased the British by saying it was in Davy ones's grasp, meaning it was inside The Hand [...]."

  "[...] Tout ce qu'il consentit à dire, ce fut: "Le Génie de la mer a maintenant mes doublons entre ses pattes, et personne ne les reverra avant qu'il se décide à les rendre..."
  "Et alors? demanda Peter.
  -Tu ne vois pas? répliqua Hannibal. S'il avait jeté les doublons par-dessus bord, il aurait dit que le génie de la mer les conservait dans son sein, ou entre ses mains. Mais il a dit "entre ses pattes". Alors, qu'est-ce qui a des pattes?
  -Une bête, bien sûr! dit Bob, les yeux brillants. Zut! Babal, tu ne veux pas dire par là...
  -Si, bien sûr! déclara Hannibal, et c'est la seule explication logique. Quand il eut constaté qu'il ne pouvait plus s'échapper, le capitaine N'a-qu'une-Oreille a jeté tout son trésor dans le trou du geyser, sur l'île du Chien! [...]"

  Avant d'être un personnage de la série de films Pirates des Caraïbes, Davy Jones est une sorte de figure que les marins anglo-saxons évoquent comme le Diable. L'expression "Davy Jones's locker" désigne le fond de la mer et métaphoriquement le décès en mer. Les deux propositions de Séchan me semblent acceptables puisqu'il rendent bien compte d'une entité supérieure et surnaturelle.
  Et on voit également que le choix de l'expression choisie plus tôt par le traducteur qui altérait le nom de l'île altère également l'explication de Jupiter/Hannibal. Elle glisse de "grasp" ("emprise") à "entre ses pattes".
  A un degré moindre d'importance, vous remarquerez qu'Olivier Séchan place le "Et alors?" dans la bouche de Peter au lieu de Bob. Soit il s'est trompé soit il savait qu'un chipoteur allait le remarquer dans un blog obscur 45 ans plus tard.
  Cette histoire de trésor n'est pas la seule croyance propre à l'île aux Squelettes. La seconde se trouve être ce spectre aux chevaux de bois qui a été choisi comme titre français. C'est dans le Chapitre 2 que cette petite légende locale nous est révélée:

Jacques Poirier, 1970.
  "[...] The phantom of the merry-go-round! The magazine articles they had studied so carefully had told them all about the ghost that supposedly haunted Skeleton Island. According to legend, it was the ghost of lovely but headstrong Sally Farrington, a young woman who had been riding the old merry-go-round one night twenty-five years before.
  A sudden storm had blown up and the merry-go-round had stopped. Everyone else had got off, but Sally Farrington refused to climb down from her wooden horse. According to the legend, she cried out that no storm was going to stop her from finishing her ride.
  As the operator of the merry-go-round was arguing with her, a bolt of lightning had crackled down from the sky and struck the metal pole in the middle of the carousel. To the horror of everyone, Sally Farrington was killed.
  [...] A few weeks later, one stormy night when Pleasure Park was closed down and empty, people on the mainland saw the lights of the merry-go-round blaze up. The wind brought the sound of the carousel music to their ears.
  [...] A wave of superstitious fear spread among the townspeople. It was said that Sally's ghost had come to finish her interrupted ride. The amusement park soon had a reputation for being haunted."

Harry Kane, 1966.
Roger Hall, 1968.

















 

  "[...] Ah! ce fantôme des chevaux de bois! Les articles de magazines qu'ils avaient soigneusement étudiés leur avaient tout dit sur ce fantôme qui, prétendait-on, hantait l'île. Selon la légende, c'était celui de Sally Farrington, une jeune femme charmante mais écervelée qui, un beau soir, vingt-cinq ans auparavant, faisait un tour de manège...
  Or, une tempête ayant éclaté, on avait dû arrêter le manège. Tout le monde s'était mis à l'abri, sauf Sally Farrington, qui, après avoir refusé de descendre de son cheval de bois avait crié que la plus terrible des tempêtes ne l'empêcherait pas de terminer son tour!
  Au moment où le machiniste du manège discutait avec elle, la foudre était tombée du ciel, frappant le pilier central du caroussel, et tuant Sally Farrington sur le coup.
  [...] Quelques semaines plus tard, par une nuit d'orage, alors que le parc d'attractions était fermé et désert, plusieurs habitants de Fishingport virent s'allumer les lumières du manège. Le vent apporta à leurs oreilles des bouffées de musique de chevaux de bois.
  [...] Une vague de terreur superstitieuse se répandit sur les gens de la ville. On raconta que le fantôme de Sally était venu pour terminer son tour de manège interrompu. Le parc d'attraction ne tarda pas à acquérir la réputation de lieu hanté."

 
Jacques Poirier, 1970.
  Bien que le carrousel, fantôme de Sally Farrington inclus, ait été illustré par Harry Kane et Roger Hall, seules les éditions françaises ont une allusion dessinée à cet élément de l'intrigue. Ce qui est logique, puisqu'il faut bien coller au titre choisi. La première édition française de 1970 représente Pete (ce ne peut être le jeune Grec Chris, car il plonge sans équipement) en tenue de plongée, sous l'eau ramassant l'un des doublons de N'a-Qu'une-Oreille. Un doublon très particulier puisque dans un ludique et vertigineux anachronisme, il est à l'effigie d'un réalisateur du XXème siècle. On peut voir un cheval de bois (sans Sally Farrington) en arrière-plan sur la droite.

Yves Beaujard, 1994.
  La couverture ultérieure d'Yves Beaujard est bien plus fournie, toujours en forme de montage de plusieurs scènes comme il en a l'habitude: en arrière-plan Pete découvre le "petit yacht qui a coulé lors d'une tempête" (Chapitre 7) et l'avant-plan dédouble Pete en compagnie de Bob ébahi devant une dizaine de doublon (on peut en déduire que cela fait référence à leur chasse aux doublons, avec Chris, dans la caverne sous-marine). Un cheval de bois (sans Sally Farrington, non plus) est aussi présent, entouré de poissons. Quant à Alfred Hitchcock, sa silhouette se découpe dans ce milieu aquatique, laissant quelques bulles et poissons nager dans le blanc de la couverture.

  
Stephen Marchesi, 1978.
  La palme de l'illustration-montage artistique revient cependant à Stephen Marchesi, qui nous soumet dans l'édition Random House de 1978 ce crâne (qui je vous le rappelle est la forme de l'île aux Squelettes dans le texte original), surmonté d'une île où un troisième personnage que je ne pourrais identifier (Jupiter/Hannibal ou Jeff Morton?) semble attendre, dans une barque, le retour de Bob et Peter, "enfermés" dans cette tête pleine d'eau. Une poignée de doublons est aussi présente en avant-plan.
  Les autres illustrations de couvertures anglo-saxonnes, antérieures ou ultérieures à celle de Marchesi, sont plus terre-à-terre, même si ça tangue un peu pour celles qui représentent nos trois amis dans une barque, en pleine tempête, avec tout de même cette tête de mort formée par les nuages ou l'imagination. On remarque que Bill Dodge a certainement repris celle d'Adragna, en la modernisant (la casquette à l'envers, so 90's). Si elles sont censées représenter le début du roman, on note l'absence de Sam Robinson.

Robert Adragna, 1982.
Bill Dodge, 1990.
















  Une autre édition de 1982, illustrée par Charles Liese, se déroule en plein air et représente la découverte des doublons et d'un crâne par les jeunes détectives. Elle n'est pas vraiment conforme au texte. Ils découvrent bien un crâne, mais après avoir pénétré dans une grotte qu'ils ont découverte au sommet d'une colline.
Charles Liese, 1982.
  C'est à l'intérieur de cette même grotte que la toutes première édition américaine (Random House, où les plus perspicaces remarqueront la petite erreur dans la liste des titres: le premier tome s'intitule The Secret of Terror Castle et non The Mystery) et deux versions britanniques (Armada) situent leur image de couverture. Cette scène conclut le Chapitre 5:
Harry Kane, 1966.
  "He beamed the light towards the low back part of the cave. Some flat rocks looked worn smooth, as if imprisoned men had once lain on them as very hard beds. Jupiter's flashlight flicked over other rocky crevices and ledges until, at a point about six feet above the ground, it stopped suddenly.
  Something white rested there on the ledge of a rocky shelf. Something white and round. Bob gulped. It was a human skull.
  It seemed to grin at them. And then, just as Bob was reminding himself that it was only a bony memento of the bad old pirate days of long ago, the skull spoke to them.
  "Go 'way," it sighed, with a strong accent that sounded Spanish to Bob. "Let me 'ave my rest. No treasure is here. Only my tired old bones."

Armada, 1970.
Gonzales Vicente, 1986.




















    "Il dirigea le rayon lumineux vers le fond de la grotte. Ils entrevirent quelques rochers plats, qui semblaient
polis par l'usure, comme si jadis des prisonniers les avaient utilisés comme couches de fortune. Le rayon glissa sur d'autres saillies ou crevasses du roc, s'éleva, pour s'immobiliser soudain sur un point, à environ six pieds du sol.
  Quelque chose de blanc reposait sur le bord d'une corniche. Quelque chose de blanc et de rond... Bob sentit sa gorge se contracter... C'était un crâne humain!
  On eût dit qu'il les regardant en ricanant. Et tout à coup, alors que Bob comprenait qu'il ne s'agissait là que d'un macabre souvenir du temps des pirates, tout à coup, le crâne parla...
  "Filez d'ici, vous tous! siffla-t-il, avec un accent qui parut étranger à Bob. Filez d'ici!... Laissez-moi reposer en paix! Pas de trésor, ici! Rien que mes vieux os fatigués!"

  A noter que le texte ne rend compte dans un premier temps (nous avons la suite de la scène en commençant le Chapitre 6) que de la réaction de Bob. Pour chipoter un peu, Olivier Séchan parle d'un accent "étranger" alors qu'il est "semble espagnol" à l'origine, et qu'il rend la voix du crâne plus expressive en répétant "Filez d'ici!" et en utilisant des points d'exclamation.
  L'éditeur Armada propose en 1981 une autre version, assez basique avec Bob et Pete en pleine plongée:
Peter Archer, 1981.

  Cette revue des différentes couvertures terminée, je me sens obligé de citer une fois de plus les allusions:
-au passé de comédien de Jupiter (Chapitre 1): "Acting?" Pete looked doubtful. "We're not actors, sir. Although Jupiter did some acting on TV when he was a very small kid."/"Jouer la comédie? répéta Peter d'un air hésitant. Mais nous ne sommes pas des acteurs, monsieur, même si Babal a paru trois ou quatre fois à la télévision, quand il était encore au biberon!" (on peut discuter le "trois ou quatre fois" ajouté par le traducteur. Si l'on se souvient des précédentes allusion, il s'agirait d'une série.)
-et à l'ancien handicap de Bob (Chapitre 7): "In the water, Bob kicked his flippered feet and shot downwards. He liked swimming. Over the years he had done a lot of it to build up strength in the leg he had broken as a small boy."/"Une fois dans l'eau, il agita ses palmes et piqua vers le fond. Il adorait la nage. Depuis des années, il en faisait énormément pour fortifier la jambe qu'il s'était cassée étant enfant."

  Avant de conclure, j'ai quelques petites réflexions inoffensives supplémentaires à faire.
  -Je n'ai fait allusion à ce détail que très rarement, mais dès le départ de la série, le nom des trois personnages principaux ne sont pas tout à fait les mêmes. Les noms originaux, je le rappelle, sont Jupiter Jones, Peter Crenshaw et Bob Andrews. Et j'ai constaté que malgré le changement de traducteur, il a été choisi de garder les noms adaptés (peut-être par Vladimir Volkoff), à savoir Hannibal Jones, Peter Crentch et Bob Andy. La raison est peut-être très simple: il ne fallait pas dépayser les lecteurs déjà habitués à ces noms (et qui ne savaient très certainement même pas qu'il y avait des différences par rapport au texte original. Le gamin que j'étais en est un parfait exemple).
  -On apprend dans le Chapitre 1 que, parmi le personnel de tournage, l'assistant du réalisateur se nomme Harry Norris. Dès la première occurrence du nom, un fan de la série se dit tout de suite: "Norris? Comme Skinny Norris? Y a-t-il un lien entre ces deux personnages? Harry est-il le père de Skinny et va-t-il jouer un rôle dans ce roman?" J'ai du mal à croire que Robert Arthur ait pu oublier l'ennemi juré des détectives, donc il n'a pas pu choisir ce nom par hasard. J'ai été déçu au final de voir qu'il n'était pas question de Skinny dans toute l'histoire et que Harry Norris restait un personnage secondaire, sans implication. Et peut-être que c'était le but de l'auteur: placer une fausse piste pour les fans.
  -Dernière remarque, puisqu'il est question du personnel de tournage, le nom du film, fictif, dans le texte original est Chase me faster. Le titre choisi par Olivier Séchan est Défi à la mort. Il ne pas chercher bien loin la raison amusante de ce choix, vous la trouverez dans la mini-bio d'Olivier Séchan (1911-2006). Il s'agit de sa seule intervention en tant que traducteur de la série.


  Des six premières aventures de nos trois héros, The Secret of Skeleton Island/Le Spectre des Chevaux de bois, est celui qui m'a moins captivé à sa lecture. Plusieurs raisons. Robert Arthur semblait aimer changer parfois de décor et ne pas placer toutes ses intrigues exclusivement à Rocky. Ce n'est pas ce qui me gêne en soi. Mais dans ce roman, on passe trop brutalement du bureau d'Alfred Hitchcock, à Hollywood, à l'arrivée des détectives sur l'île. Le dénouement se déroule de la même façon, sans transition, dans l'autre sens. Il n'y a donc pas d'apparitions de personnages secondaires comme Mathilda Jones ou d'autres qui orbitent autour d'eux d'habitude. Je conviens que cela sonne comme un caprice de fan qui n'a pas eu ce qu'il veut. Mais il y a aussi l'intrigue que j'ai trouvé un peu molle, c'est très personnel, j'ai pris un peu moins de plaisir à relire cette aventure. J'en ai eu par contre toujours autant à élaborer cet article et j'espère que les personnes qui suivent mon projet (je les remercie encore au passage de continuer à le faire)  ne se sont pas ennuyés devant la longueur habituelle.
  J'ai hâte d'attaquer le prochain tome, The Mystery of fhe Fiery Eye/Treize Bustes pour Auguste, car j'ai soulevé un peu le voile et entr'aperçu le retour d'un personnage absent depuis The Mystery of the Whispering Mummy/La Momie qui chuchotait.

7.The Mystery of fhe Fiery Eye/7.Treize Bustes pour Auguste.
8.The Mystery of the Silver Spider/8.Une Araignée appelée à régner.
9.The Mystery of the Screaming Clock/9.Les Douze Pendules de Théodule.
10 The Mystery of the Moaning Cave/10.Le Trombone du Diable.
11.The Mystery of the Talking Skull/26.Le Crâne qui crânait.
12.The Mystery of the Laughing Shadow/25.L'Ombre qui éclairait tout.
13.The Secret of the Crooked Cat/12.Le Chat qui clignait de l’œil.
14.The Mystery of the Coughing Dragon/11.Le Dragon qui éternuait. 
15.The Mystery of the Flaming Footprints/14.L'Aigle qui n'avait plus qu'une tête.
16.The Mystery of the Nervous Lion/21.Le Lion qui claquait des dents.
17.The Mystery of the Singing Serpent/16.Le Serpent qui fredonnait.  

The Secret of Skeleton Island/Le Spectre des Chevaux de bois, Robert Arthur. Traduit de l'américain par Olivier Séchan.

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