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samedi 22 octobre 2011

Lâchons les chiens de Brady Udall

Après vous avoir parlé il y a quelques mois du Polygame solitaire, j’ai l’opportunité, plus tôt que je l’avais imaginé de vous entretenir du recueil de nouvelles de Brady Udall, paru avant son premier roman, Le Miraculeux destin d’Edgar Mint. Paru en langue originale en 1997 et traduit en France en 1998 chez Albin Michel puis 10/18, Lâchons les chiens se compose de onze nouvelles.

Dans la nouvelle éponyme Goody Yates, mal en point suite à une douloureuse visite chez le dentiste se trimballe sur une route. Recueilli par un bon samaritain sosie du Colonel Custer, ils vont se raconter leurs petites contrariétés. Momentanément incapable de parler, Yates écrira sur les murs de Custer à l’aide d’un marqueur. Quoi, sur les murs ? Oui, peu importe, de toute façon, Custer a l’intention de foutre le feu à la baraque avant la fin de la nouvelle. Ah les chiens, Custer en possède dix-huit et comme il s’est absenté une bonne semaine sans les emmener chasser, ils sont sur les nerfs.

Jerry s'offre un"Raid nocturne" dans le but d'offrir une chèvre à son fils dont il a perdu la garde. En pleine nuit, il s’introduit dans le jardin de son ex-femme, casée désormais avec un homme plus vieux, mais plus riche. Il y fera connaissance avec Roy, petit chien sans race avec de faux airs de Marty Feldman.

Un jeune garçon voit d'un bon oeil l'arrivée de "Buckeye le Mormon", potentiel futur beau-frère, mais un mauvais garçon qui s'est converti mormon se battant contre de mauvaises habitudes.

"La ballade du boulet et de la chaîne" est une des meilleures nouvelles du recueil. Juan perd son équilibre mental par culpabilité. Ayant causé la mort d’un ami (la cause absurde, en est esquissée dans le titre) suite à l’enterrement de vie de garçon un peu arrosé comme on s’en doute, il va en permanence s’obstiner à s’infliger de petites souffrances. Racontée du point de vue de la compagne de Juan, le drolatique qui imprègne l’histoire est nuancé par un poignant désespoir.

"Basket à la casse", comme son titre l’indique, raconte des parties de basketball jouées en toute amitié dans une casse. Mais pas seulement. Le narrateur, Bach se prend d’affection pour Victoria, victime d’un « trouble du système nerveux au nom compliqué ». La présence imposée mais bienveillante, chez lui d’Hannah deviendra aussi une préoccupation pleine d’incertitude.

Dans "Le contraire de le solitude", le narrateur partage, démarche totalement altruiste, son habitation avec trois personnes « à autonomie limitée », physiquement sans problèmes mais mentalement déficients. Les personnalités hors norme des attachants Tormey, Hugh et Iris finira par détromper sa meilleure amie Ansie mal à son aise en leur présence.

"La perruque" fait seulement deux pages. Un père et son fils dans leur cuisine. Le fils s’est affublé d’une perruque blonde et sale (écho d'un chapeau ridicule que Juan a trouvé dans le garage de son ami décédé dans "La ballade du boulet et de la chaîne"). Le père tout d’abord irrité en comprendra vite (je vous l’ai dit, seulement deux pages) la portée symbolique.

"Vernon" est le nom du trou où vivent Louis, Waylon et le jeune narrateur. Une amitié ponctuée d’insolite, de distractions et d’espoirs contrariés par les coups du sort.

Dans "Serpent", Cornelius et son père, narrateur de son état, son d’origine apache et se méfient des Blancs. Ils vont tout de même accueillir Bud, qu’ils prennent au premier abord pour un flic, et vont s’échanger des confessions aussi poignantes qu’inattendues. Une sorte de pacte symbolique et sanguinaire sera scellé dans une chasse, celle d’un serpent qui s’est faufilé dans la maison. Charlotte et Peaches, les deux petites filles de Cornelius ponctuent la nouvelle de leurs éclats de rire.

Les deux garçons en galère de "La Beauté" vont se prendre d’une fulgurante amitié avec un jeune rencontré après la panne de leur vieille bagnole. Green, de caractère taciturne, se déridera devant les yeux étonnés de son ami narrateur.

Dans "Il se soûle profondément et fameusement", un jeune vacher aux problèmes comportementaux se met en tête de venger son père mort à la suite d’une rixe, bien des années plus tôt. Sa rencontre avec le meurtrier prendra une tournure très différente de ses intentions.

Rien à jeter. Avant d’écrire deux excellents romans, Udall avait extrait de son imagination onze excellentes nouvelles, condensés d’humanité où le tragique se mêle d’absurde (une cuillère Donald Duck coincée dans un broyeur à ordure dans une nouvelle préfigure ainsi la raquette de tennis qui cause le décès accidentel d’un adolescent dans une autre) et où les personnages en appellent, en quelques lignes, à la compassion, malgré leurs défauts, leurs maladresses. Les amours bancales (les divorces et les séparations sont omniprésents) ou détruits par le destin, la profonde amitié qui lient les êtres, les petits bonheurs qui subliment un quotidien trop incolore, y forment un subtil mélange de contradictions, de hauts et de bas, de ceux qui bâtissent une vie.



Lâchons les chiens, Brady Udall, 10/18, 7€. Traduit de l'américain par Michel Lederer.

2 commentaires:

Filisimao a dit…

D'accord avec toi, excellent recueil !

Gilmoutsky a dit…

Quelle réaction rapide!
Ouais, je peux enfin me targuer d'avoir lu l'oeuvre complète de Brady Udall.
J'ai une très nette préférence pour "Raid nocturne" et "La Ballade du boulet et de la chaîne".