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lundi 2 août 2010

(Don't Forget To) Breathe: Element II: L'Air


Deuxième partie du cycle consacré aux éléments fondamentaux, L'Air s'est matérialisé officiellement le 25 avril dernier, comblant une longue attente de presque deux ans (même si, pour ma part, j'ai attendu moins longtemps hé hé) après La Terre.

Constituée de 15 nouvelles inédites, cette anthologie, à l'instar de celles qui l'ont précédée, a la particularité de présenter dans son sommaire des noms familiers mais aussi de nouvelles signatures pas forcément connues du non-initié du microcosme de la SF française actuelle. Du point de vue graphique, cohérence à souligner, la première de couverture reprend les mêmes symboles que sur le premier volet, stylisés tels des sculptures aériennes là où ils semblaient tracés sur celle de La Terre.

Le terme "sculptures aériennes" est bien choisi puisqu'il me permet, transition toute trouvée, d'entrer dans le vif du sujet. Deux auteurs ont, dans leurs nouvelles respectives, mis en scène des personnages artistes sculpteurs. La magie de la sélection par comité de lecture (adoptée par Griffe d'Encre) a voulu que ces deux personnages soient très différents tout en gardant des particularités attribuées parfois trop facilement aux artistes en général. Pasquale Spumante, l'excentrique est volontairement caricatural, puisque le ton de "Fallait pas gâcher" (Timothée Rey) est à la farce made in Tales From The Crypt (référence décidément récurrente à la lecture des publications de Griffe d'Encre). Petit jeu littéraire qui consiste à ne plus plus confiner le found footage à la forme cinématographique (Blair Witch Project, Paranormal Activity etc.), "Fallait pas gâcher" se découpe en majeure partie en deux colonnes narratives censées représenter d'une part le son et de l'autre l'image filmée du vernissage de Spumante. Une narration plus traditionnelle avec Jean-Jacques Corsate, flic bourru mais drôlatique, ponctue le récit.
Le second sculpteur, Elliott Clay ("Clay" signifie "argile" en anglais, lien involontaire ou pas avec la première anthologie, la coïncidence est remarquable. Mais l'intention de l'auteure est plus probablement de relier le nom du personnage à son occupation) est sorti lui de l'imagination d'Hélène Cruciani ("Du Mystère dans l'air"). Plus tourmenté, moins m'as-tu-vu que son confrère Spumante, le cadre de son histoire est plus terre à terre, même si elle se déroule dans un futur indéfini et qu'elle imagine une matière artistique (l'aérogel). Il y est plus question des rapports conflictuels entre le monde intérieur d'Elliott et son entourage familial et mondain. Pas désagréable mais possède plutôt une ambiance propre à la littérature générale si l'on fait abstraction des éléments SF.

Un troisième artiste, musicien cette fois, est le protagoniste fascinant de "Protoxyde ou "L'air d'en rire" (Dossier de presse)". Li-Cam réussit à créer un futur où l'Europe s'est (en)terrée suite à la domination d'un puissant gaz, hilarant mais dangereux, à la surface. Le personnage principal, Anamoly, chanteur et esprit libre, provoque quelques vagues et passions dans ce monde où le rire est devenu obscène. Assembler des documents fictifs comme procédé narratif n'est pas nouveau, mais j'apprécie beaucoup cet effort de jeu avec la forme littéraire qui ne dessert en rien l'intrigue.

L'idée d'une atmosphère irrespirable reflète des préoccupations écologiques toujours actuelles, il n'est donc pas étonnant de voir d'autres nouvelles utilisant le thème imposé de l'air comme l'élément vital à l'être humain.
"Un jour comme aujourd'hui" de Marie-Lé Camille, qui succède immédiatement à "Du Mystère dans l'air", partage avec celle-ci un point commun thématique (les relations familiales) ainsi que cette teinte "littérature générale" prédominante. Extrapolation d'hypothétiques évolutions polémiques de la médecine, elle se situe dans un futur où l'air est vicié, mais où il est possible de développer des mutations positives chez les enfants afin qu'ils respirent mieux. Manipulations loin d'être acceptées par tout le monde, elles sont l'objet d'une brouille familiale qui se trouve à peine adoucie lors de retrouvailles à l'occasion des derniers instants du père/grand-père.

Deux courtes nouvelles grinçantes donnent une légère teinte caustique à l'ensemble. La première, "Merchandairsing" d'Aurore Perrault, prend la forme d'une harangue publicitaire à une assemblée, monologue d'un commercial dont le cynisme est confirmé dans les dernières lignes. On comprend que tout se déroule dans un futur dévasté où nombre de plaisirs n'existent plus depuis longtemps (l'oubli des odeurs en est l'exemple) et où subsiste encore la faculté du mensonge publicitaire. Pessimiste mais efficace.
La seconde, "Sous vide" de Benoît Guiseppin, est le récit plutôt étrange et insolite d'un personnage obsédé par la conservation de son petit monde familial. Le virage final, bien amené puisqu'il surprend, est d'un humour noir plutôt dérangeant.

Le dérangeant est plus brutal avec "Privilège insupportable" de Jeanne-A Debats. Une nouvelle plutôt pesante et glauque. Notre première réaction est de compatir avec le personnage principal avant de réaliser qu'il n'est pas très clair. La fin est un peu trop malsaine (du Poe poussé à l'extrême) pour moi, toutefois un vocabulaire riche contribue à rendre l'histoire crédible et l'ambiance générale réussit à nous mettre mal à l'aise.
Autre nouvelle coup de poing, "Armée de l'air" de Jean-Michel Calvez. Description nerveuse et musclée d'un braquage de bombonnes d'air pur. Univers à la Mad Max, amoral et violent, où le narrateur fait montre d'une étincelle futile d'humanité qui révèle plus de subtilité qu'au premier abord.

Dans sa postface, Magali Duez nous fait part d'"Une petite bise" sympathique où elle donne quelques explications sur l'élaboration de l'anthologie. Trop de textes sérieux, sombres, pessimistes (cochez au choix) et pas assez de légèreté. Une petite chanson pour enfants trouvée en dernière minute, extrait de l'album Savez-vous ce que l'on raconte? de Tomasz (le dernier Blind Guardian n'est pas mal non plus, dans le genre) conclut donc l'anthologie.
Qu'un peu légèreté y soit nécessaire, je n'ai rien contre, mais à la lecture de "Conte de fées moderne et allégé" de Dominique Bélière (auprès de laquelle je m'excuse d'avance, même si je pourrais être plus virulent), je regrette que la chanson de Tomasz ne soit pas suffisante. Un speed-dating avec un courant d'air qui aidera la narratrice avocate à gagner une grosse affaire. Trop long et un véritable supplice. Mémorable pour de mauvaises raisons. Tout en bas de mon classement personnel.
Faisant preuve d'une légereté plus subtile puisqu'elle dissimule la perte d'un être cher, "Un Souffle de tendresse" de Marie Leblion, malgré sa naïveté un peu forcée, se révèle touchante. On réalise peu à peu qui est le souffle doué de volonté qui accompagne la fillette. Toute la tension dramatique repose sur l'incompréhension de l'entourage de celle-ci vis-à-vis de son attitude.

Dans le rayon des nouvelles un peu à part, "Juste pour un souffle" d'Isabelle Guso, est une sorte de thriller polémico-surnaturel avec un flic, Fervier, plus sombre et sérieux que celui de "Fallait pas gâcher". D'une bonne facture, mais qui donne une place trop centrale au débat absurdement inutile autour d'une invention toute aussi inutilement absurde que la cigarette. On peut même y voir des arguments malhabilement placés dans les dialogues. Dommage.
Yan Marchand nous gratifie également d'une histoire hors-norme avec "Ascension". Ne vous laissez pas ennuyer par la biographie de cet homme politique sans charisme. Évoquant Roland Topor, Jacques Sternberg et, oui, j'assume encore une fois, Fredric Brown, surtout à cause de cette fin à contre-pied total.

Reste les trois nouvelles qui se suivent dans le sommaire et qui mettent en scène des être surnaturels. Issus de croyances locales propres aux lieux de l'intrigue, deux d'entre eux sont des figures strictement ratachées au vent. La troisième est une créature aquatique, un ondin hideux nommé Vodnik responsable de la mort des enfants. Narration alternée entre une plongeuse sous-marine et une sage-femme superstitieuse, "La Remontée" de luvan (l'omission du "l"majuscule est voulue) est très efficace. On ressent vraiment l'angoisse de la plongeuse qui est retenue sous l'eau. Au passage quelques explications techniques bien diluées (pour une nouvelle si courte) sur la plongée sous-marine qui apporte beaucoup de crédibilité.
On trouve aussi une angoisse mais moins palpable, plus mystérieuse, dans "Ava du Ciel" d'Elisabeth Ebory. L'action se situe dans une petite ville qui ne compte que sur les éoliennes et donc le vent pour subvenir à son bon fonctionnement. L'apparition d'un homme masqué va intriguer l'héroïne, le tout dans un style putôt inspiré et poétique.
"Le Vent du désert" de Magali Lefebvre décrit une scène de guerre dans le désert de Lybie, racontée par un officier à sa femme, après son retour. Un vent maléfique, Khamsin, qui détruit et sème la confusion dans l'esprit des hommes. Cauchemardesque à souhait et laisse un doute final sur l'état mental de l'officier. Classique mais agréable et fait penser, par son aspect "épouvante", à du Graham Masterton ou du Dean R. Koonz.

Forte d'une diversité prononcée L'air peut se targuer paradoxalement d'une solide cohérence. L'élément primordial a inspiré ces quinze auteurs de manière très différentes, cependant j'ai trouvé qu'il y avait de nombreux points communs, des renvois thématiques et/ou formels entre les nouvelles. Toutes ne m'ont pas passionné mais les efforts individuels d'écriture sont tout à fait respectables. Tiens je viens de remarquer que l'anthologie avait une trentaine de pages supplémentaires par rapport aux précédentes.


Elément II: L'Air, Griffe d'Encre, coll. "Anthologie", 17€. Dirigée par Magali Duez que je remercie encore une fois.

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